Construction durable, logements sociaux, logements étudiants, préconisations de la «commission Rebsamen», innovation dans le secteur du bâtiment, zéro artificialisation des sols en Bourgogne-Franche-Comté... la ministre du Logement a répondu à nos questions en amont de son déplacement à Dijon ce vendredi 4 février.
Plus de deux millions de ménages sont en attente d'un logement social en France. Ce constat, établi par l'Union Social pour l'Habitat (USH) lors de son congrès en septembre 2021, a été appuyé par le 47ème rapport de la Fondation Abbé-Pierre publié le 2 février dernier : il y aurait en France quatre millions de personnes mal-logées dont 300.000 SDF.
Dans ce contexte, le gouvernement entend conjuguer construction de logements sociaux et développement durable. C'est la «construction durable» chère à Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du Logement, pour bâtir plus en limitant l'artificialisation des sols.
Ce vendredi 4 février 2022, Emmanuelle Wargon est en déplacement à Dijon pour signer avec François Rebsamen (PS), président de Dijon Métropole – et président de la commission pour la relance de la construction durable de logements qui a remis son rapport au premier ministre en septembre 2021 –, le premier «contrat de relance de la construction de logements» avec une collectivité.
Un modèle qui a l'ambition d'essaimer auprès de communes et d'intercommunalités dans toute la France afin proposer plus de logements à la population. En amont de ce déplacement, la ministre du Logement a répondu aux questions d'
Infos Dijon.
Objectif 125.000 nouveaux logements sociaux en 2022
De façon générale, que répondez-vous à la Fondation Abbé-Pierre qui, lors de la présentation de son rapport le 2 février dernier, a alerté sur une baisse des autorisations de construction de logements sociaux de 2017 à 2020, avant un rebond en 2021, et a rappelé sa demande d'atteindre 150.000 nouveaux logements sociaux construits chaque année en France ?Tout d’abord, je tiens à rappeler que la Fondation Abbé-Pierre est un acteur associatif avec qui je travaille quotidiennement et je les remercie pour le travail et l’engagement dont ils font preuve. Le rapport de la Fondation Abbé-Pierre reconnaît un certain nombre d’avancées qu’aucun gouvernement n’avait obtenues auparavant. Je pense notamment à l’ouverture inédite de 200.000 places d’hébergement pour les sans-abri, et de la fin de la «gestion au thermomètre» qui consistait à refermer chaque été les places d’hébergement ouvertes pendant l’hiver.
600.000 foyers ont également bénéficié de MaPrimeRenov’ en 2021, ce qui est une petite révolution pour la rénovation énergétique, si importante pour l’environnement et la facture d’énergie des ménages.
Concernant la baisse des agréments de logements sociaux de 2017 à 2020, je précise que la baisse constatée concerne surtout l’année 2020, marquée par un contexte de crise sanitaire exceptionnelle et de renouvellement des exécutifs locaux.
En réponse, nous avons conclu en mars 2021 un protocole d’engagement pour la relance de la production de logements sociaux avec l’Union Sociale pour l’Habitat et quatre fédérations HLM, Action Logement et la Banque des Territoires. Nous y avons inscrit des objectifs ambitieux et mobilisé pour cela des moyens exceptionnels, avec 1,5 milliard d’euros de subventions sur 2 ans.
Nous avons également voté en loi de finances pour 2022 une mesure inédite suite aux conclusions de la commission pour la relance durable de la construction présidée par François Rebsamen : la compensation intégrale par l’État aux collectivités de l’exonération de Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties pendant 10 ans pour tous les logements sociaux autorisés durant le mandat municipal actuel.
En 2021, la production a ainsi marqué un rebond de 8% par rapport à 2020 en métropole, avec une part record de logements très sociaux (PLAI et PLAI adaptés [NDLR : prêt locatif aidé d'intégration]) dans le total.
Ce n’est certes pas suffisant, et il me semble donc plus qu’essentiel que la mobilisation de l’ensemble des acteurs du logement et notamment des collectivités se poursuive sur toute l’année 2022 pour atteindre l’objectif fixé à 125.000 logements sociaux, en prenant appui sur les financements renforcés et les nouvelles mesures bénéficiant au secteur (compensation abattement TFPB, aide à la relance de la construction durable, etc).
«Les étudiants sont les premiers bénéficiaires de la garantie publique Visale»
Dijon compte un important campus et accueille donc de nombreux étudiants. La Fondation Abbé-Pierre a également pointé l'écart entre les objectifs du gouvernement et la réalisation de logements étudiants. Quelle stratégie envisagez-vous pour faciliter le logement des étudiants ?Je suis consciente de la nécessité de répondre aux besoins croissants des étudiants en matière de logement.
Notre stratégie passe par la sécurisation de l’accès et du maintien dans le logement. Je veux ainsi saluer le succès rencontré par la garantie publique Visale, ouverte sans condition aux moins de 30 ans, qui n’ont pas la chance d’avoir un garant familial. Les étudiants sont les premiers bénéficiaires de Visale avec 123.000 contrats en 2021, soit 53 % du total. Depuis 2016, ce sont 338.000 contrats qui ont été émis.
Nous avons élargi les conditions d’accès à Visale en 2021, et c’est un outil que nous pouvons encore améliorer et faire connaître.
S’agissant de l’offre nouvelle, nous nous sommes fixés l’objectif de 60.000 logements étudiants sur le quinquennat. Selon nos projections, nous serons à un peu plus de 60.000 dont 60% de logements sociaux ; c’est bien cette part à loyer abordable qu’il faut encore augmenter.
De ce point de vue, les résultats 2021 sont très satisfaisants avec environ 10.000 logements sociaux financés à destination des étudiants et jeunes soit une augmentation de plus de 20% par rapport à 2020.
Avec ma collègue ministre de l’Enseignement supérieur, nous poursuivons aussi une démarche de mobilisation du foncier universitaire : 70 sites ont été identifiés dans ce cadre, pour environ 12.000 logements constructibles.
Notre stratégie est également d’inciter les collectivités à accueillir des projets de logement abordable, dans le cadre plus général de la relance de la production. Le gouvernement a pris des mesures fortes ces derniers mois, avec la compensation de l’exonération de TFPB, mais aussi les contrats de relance du logement en cours de signature dans les zones tendues, pour soutenir financièrement les communes qui construisent, comme à Dijon.
Les mesures de la «commission Rebsamen» retenues par le Premier ministre
La commission pour la relance de la construction durable de logements a effectué des préconisations pour simplifier l'acte de construire. Quelles mesures avez-vous retenues à ce jour ?La Commission pour la relance durable de la construction de logements a été annoncée le 17 mai 2021 par le Premier ministre. Présidée par François Rebsamen, elle a réuni 32 membres dont 7 élus locaux, 8 parlementaires, 17 professionnels du secteur du logement ou personnalités qualifiées. L’objectif était d'identifier les freins à la délivrance d'autorisations d'urbanisme par les collectivités locales, et de faire des propositions pour les lever. Deux tomes ont été remis au Premier ministre en septembre et octobre 2021. Je tiens à remercier l’ensemble des participants pour le travail de qualité dont ils ont fait preuve.
Le Premier ministre a décidé de retenir comme mesures à ce jour :
- Une aide pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et communes s’appuyant sur un contrat fixant des objectifs de construction de logements (175 millions d’euros redéployés du Plan de relance).
- La compensation par l’État pendant 10 ans de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les logements locatifs sociaux agréés d’ici à 2026.
- Le remplacement de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pour le logement intermédiaire par un crédit d’impôt sur les sociétés d’un montant égal, à la charge de l’État.
- La pérennisation et renforcement du fonds friches.
- La mise en place d’un recensement du foncier public dans les zones tendues et d’un inventaire en temps réel des parcelles cessibles.
Une aide à la construction durable pour les communes de 1.500 euros par logement produit
Qu'est-ce que l'aide à la construction durable ?L’aide à la relance de la construction durable permet de relancer l’acte de construire en favorisant une utilisation plus efficiente du foncier déjà urbanisé ou ouvert à l’urbanisation.
Pour cela, grâce au plan de relance, nous souhaitons accompagner financièrement les communes dans la réalisation des équipements publics et autres aménités urbaines pour concilier leur projet de développement, l’amélioration de la qualité urbaine, paysagère et architecturale des opérations et l’attractivité des territoires.
Cette aide participe à la mobilisation et la valorisation du foncier pour la réalisation des opérations de construction sobres en foncier et contribue à infléchir le rythme d’artificialisation, en cohérence avec la priorité du «zéro artificialisation nette ».
En 2021, cette aide du plan de relance (qui était automatiquement accordée aux communes qui délivraient des permis de construire denses) a conduit à 142 millions d’aides pour 1.316 communes bénéficiaires. Cela représente 2.500 permis de construire aidés et un total de 67.000 logements.
Pour l'année 2022, le gouvernement, sur recommandation de la commission pour la relance de la construction durable (commission Rebsamen) a fait évoluer le dispositif de l'aide à la relance de la construction durable (ARCD) sur la voie de la contractualisation, tout en le recentrant sur les territoires tendus en matière de logement et en ciblant des projets de construction économes en foncier.
Le contrat de relance du logement a vocation à être signé entre l’État, l'intercommunalité et les communes volontaires, qui doivent désormais être situées en zones A, A bis et B1 (les plus tendues). La date limite de signature des contrats est fixée au 30 avril 2022.
Cette seconde vague de l'aide à la relance de la construction durable (ARCD) prendra en compte le permis de construire délivrés entre le 1er septembre 2021 et le 31 août 2022. Le montant prévisionnel de l'aide sera calculé au regard de l'objectif de production de logements, mais uniquement sur la base des permis de construire portant sur des opérations d'au moins deux logements et avec un coefficient de densité minimal de 0,8. L'aide sera de 1.500 euros par logement, avec un bonus de 500 euros en cas de transformation de bureaux en logements.
Ce nouveau dispositif contractualisé bénéficiera d'une enveloppe de 175 millions d'euros. Près de 200 contrats de ce type sont en négociation à l’échelle nationale et devraient être signés d’ici fin avril 2022, couvrant 1.700 communes et un objectif d’environ 180.000 logements autorisés.
Je me félicite de voir que la Métropole de Dijon et ses communes membres éligibles signataires du contrat soutiennent pleinement le nouveau dispositif du contrat de relance de la construction de logements et qu’elles souhaitent s’y inscrire. Cette démarche vise à soutenir et renforcer l’offre de logements dans plusieurs communes de la métropole. Ce contrat de relance est complémentaire aux engagements portés depuis de nombreuses années et mis en œuvre par la Ville et la Métropole, aux côtés de l’État.
«Construire des villes plus résilientes face aux défis du changement climatique»
À Dijon, Elithis a réalisé une tour de bureaux à énergie positive en 2009 et construit actuellement une tour similaire intégrant des logements (lire notre article). Selon son concepteur Thierry Bièvre, elle est en phase encore aujourd'hui avec la RE 2020 qui est – difficilement – entrée en application au 1er janvier 2022. Comment votre ministère accompagne l'innovation dans le secteur du bâtiment pour faire face aux défis liés au changement climatique ?Depuis que je suis ministre du Logement, nous travaillons aux côtés des acteurs du bâtiment pour accompagner l’innovation et construire des villes plus résilientes face aux défis du changement climatique. Cet engagement en faveur de l’innovation était au cœur de la démarche «Habiter la France de demain » que j’ai lancée en début d’année 2021.
Je suis parti du constat que les aspirations des Français en matière d’habitat, renforcées par la crise sanitaire, tendent vers des modes d’habitat peu durables (étalement urbain, voiture individuelle) et qu’il était nécessaire de faire émerger un discours politique sur la façon dont nous souhaitons habiter demain. Il fallait donc faire émerger une vision partagée de l’habitat et de la ville et en lien avec les enjeux d’aujourd’hui et de demain.
Pour cela, la démarche visait à faire coïncider les aspirations des habitants, la vision des décideurs et notre ambition sur le plan environnemental. Elle s’est déclinée en plusieurs étapes : la réaffirmation des fondamentaux de la ville durable à toutes les échelles, du logement au grand territoire.
À cet effet, j’avais demandé à Laurent Girometti et François Leclercq [NDLR : respectivement directeur général des Établissements publics d’aménagement de Marne-la-Vallée et architecte-urbaniste] de produire un référentiel, un livre blanc sur le logement de qualité.
Nous avons également mené une série de consultations citoyennes pour cerner les attentes de la population en matière d’habitat, en lien avec l’évolution des modes de vie.
Durant cette démarche, nous avons choisi de mettre en avant des projets d’aménagement durable, exemplaires et réussis, qui donnent envie et qui concilient ville durable et ville agréable. Au titre du 4ème Programme d’investissements d’avenir (PIA), nous avons mobilisé des moyens pour faire émerger des projets innovants «Démonstrateurs territoriaux de la ville durable», dans le cadre d’un programme soutenu par la Banque des Territoires.
La lutte contre l’artificialisation des sols sera transcrite dans les plans locaux d'urbanisme des communes et intercommunalités
En Bourgogne-Franche-Comté, de nombreux maires de communes rurales ou périurbaines sont hostiles au «zéro artificialisation des sols » qu'ils considèrent comme une contrainte nuisant au développement économique de leur commune passant par les lotissements pavillonnaires. Vous avez eu le portefeuille de l’Écologie (de 2018 à 2020), aujourd'hui du Logement. Que leur répondez-vous ?Je pense qu’il faut déjà partir du constat auquel nous sommes confrontés : en 2019, en France, environ 9,6% des sols sont artificialisés. Entre 24.000 et 30.000 hectares d'espaces naturels, agricoles et forestiers sont consommés par an en moyenne sur les 10 dernières années. Le flux d’artificialisation augmente en outre plus vite que la croissance démographique.
En tant qu’ancienne secrétaire d’État à la Transition écologique, je suis particulièrement sensible à ce phénomène qui a des conséquences négatives d’un point de vue écologique (érosion de la biodiversité, réduction du potentiel agronomique des sols, limitation de la séquestration de carbone, augmentation des risques d’inondations etc.) mais aussi socioéconomique (dépendance à la voiture, éloignement des emplois et des services publics etc.).
La loi Climat et résilience a introduit de nouvelles mesures de lutte contre l’artificialisation des sols afin d’atteindre l’objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050.
La consommation totale d’espace observée à l’échelle nationale devra être dans les dix années à venir, inférieure à la moitié de celle observée sur les dix précédentes années.
Je tiens à rappeler que ces objectifs devront être appliqués à travers les schémas d’aménagement régionaux, déclinés ensuite dans les documents d’urbanisme locaux, en tenant compte des dynamiques territoriales. La réduction de 50% sera donc territorialisée à l’échelle infra-régionale.
Pour accompagner les maires des communes rurales vers cet objectif de «zéro artificialisation nette en 2050», le gouvernement a mis en place une série de mesures.
Chaque commune pourra bénéficier de données très fines sur l’occupation et l’usage des sols sur l’ensemble du territoire. Elles seront également accompagnées par les établissements publics fonciers (EPF), les agences d’urbanisme et de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) qui vont progressivement intégrer cet enjeu dans leurs missions.
Je tiens également à évoquer le fonds de recyclage des friches que le gouvernement a mis en place dans le cadre du plan France Relance avec au total 750 millions d’euros pour accompagner des projets de logements denses.
C’est grâce au travail partenarial entre l’État et toutes les échelles territoriales (régions, départements, EPCI, communes) que nous pourrons atteindre collectivement cet objectif de zéro artificialisation nette.
Jean-Christophe Tardivon
Propos transmis par écrit
Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au Logement, le 4 décembre 2020 à Dijon (image d'archives JC Tardivon)