Ce samedi 8 janvier, d'anciens salariés de la Chocolaterie de Bourgogne pétitionnaient au centre-ville pour interpeller le maire de Dijon. La CGT entend faire des escargots au praliné un emblème de la lutte contre les entreprises chassant les aides publiques.
La Chocolaterie de Bourgogne, avec son usine installée rue de Cluj et sa boutique rue Piron, a fermé en mars 2021. Le personnel a été licencié : une soixantaine de salariés sur un site qui a connu jusqu'à 500 employés.
Le 3 juin 2021, la FNAF-CGT a organisé une action devant l'usine pour interpeller les pouvoirs publics et demander «la réindustrialisation du site et 200 embauches pour relancer l'activité» (
lire notre article).
En septembre 2021, une délégation a brièvement occupé la tour Philippe le Bon puis rencontré des représentants du cabinet du maire de Dijon. À la suite de quoi, François Rebsamen (PS) a écrit aux manifestants.
«Le pognon est parti avec les différents investisseurs»
«Aujourd'hui, on veut des actes», s'exclame Gaëtan Mazin, responsable régional en Bourgogne-Franche-Comté pour la Fédération nationale agroalimentaire et forestière de la CGT (FNAF-CGT), tandis que le syndicat poursuit la mobilisation en pétitionnant autour du marché des Halles ce samedi 8 janvier 2022.
«Notre syndicat CGT exige l'élaboration d'une solution économique et financière saine et viable, permettant la relance de l'activité chocolatière», indique le tract revendiquant «une municipalisation de l'activité chocolatière s'inscrivant dans le développement de l'économie sociale et solidaire».
«On veut se mettre autour de la table avec la municipalité, parler d'un projet de municipalisation où la mairie serait en capacité d'avoir un véritable contrôle sur le développement, sur la partie économique, sur la partie sociale. Ces dernières années, systématiquement, il y a eu des fonds qui ont été versés aux différentes actionnaires qui sont passés – Ibercacao, Nestlé, MacIntosh... – et systématiquement, le pognon est parti avec les différents investisseurs en laissant l'outil industriel démuni et les salariés mis à la porte», tempête Gaëtan Mazin.
La place du chocolat dans la cité gastronomique
Les manifestants de ce jour revendiquent de porter un projet «semi-artisanal voire semi-industriel» s'appuyant sur les machines qui seraient toujours en place sur le site afin de produire «en circuit court» pour «alimenter les collectivités locales en chocolat» en «tablettes» ou en «escargots».
Gaëtan Mazin est nostalgique de la marque Prestige de Bourgogne sous
laquelle étaient notamment vendues des truffes et des escargots en
chocolat : «ça va dans le sens de ce que veut Monsieur Rebsamen,
d'avoir une véritable cité gastronomique. (…) Le chocolat, y a toute sa
place. (…) Au même titre que le vin, se sont des produits qui sont
nobles».
«On a un président de la République qui nous dit aujourd'hui, 'il faut réindustrialiser la France'. On est en plein dedans ! Le blabla, c'est bien, nous on veut des actes. La CGT a des propositions à apporter, que ce soit sur le volet économique ou sur le volet social. Il faut que l'on discute avec Monsieur Rebsamen le plus vite possible», demande Gaëtan Mazin.
Les escargots de Bourgogne ont filé en Espagne
Alors que les escargots au praliné étaient célèbres dans toute la
France, à la suite notamment des publicités avec Salvador Dali pour le
chocolat Lanvin, la CGT entend faire de la Chocolaterie de Bourgogne un
emblème de son combat contre les entreprises chassant les aides
publiques.
Installé à Dijon dès 1921, l'entreprise qui allait devenir la Chocolaterie de Bourgogne était alors dirigée par Auguste Lanvin. Elle n'atteindra pas le centenaire. En 2018, après quelques vicissitudes, la Chocolaterie de Bourgogne est rachetée par Ibercacao, propriété du groupe familial espagnol Lacasa. 65 employés sur 185 sont alors maintenus en poste.
Ibercacao multiplie les annonces de développement puis révèle des pertes pour l'année 2020 et une mise en redressement judiciaire le 3 février 2021. Aucun repreneur ne se présente et la Chocolaterie de Bourgogne ferme.
«Mi 2020, tout allait bien, aussi bien au point de vue commercial que
financier et fin 2020, ça n'allait plus», résume Maria Da Rocha,
déléguée syndicale CGT de la Chocolaterie de Bourgogne de 1990 à 2018. «Il faut savoir que ce qui a animé [Ibercacao] dans la reprise, c'est le savoir-faire français», dénonce-t-elle, «aujourd'hui, il peut tout à fait développer l'escargot de Bourgogne en Espagne».
Sur l'ensemble des personnels licenciés, certains ont retrouvé un emploi, d'autres ont atteint l'âge de la retraire. «Il y en a encore beaucoup qui galèrent», alerte Maria Da Rocha qui estime à une trentaine le nombre de personnes n'ayant pas retrouvé un poste. Selon Gaëtan Mazin, il faudrait au minimum 60 employés pour redémarrer une activité avec une partie seulement des machines.
«Il faut arrêter de signer des chèques en blanc»
Gaëtan Mazin élargit la démarche aux enjeux de souveraineté et au contrôle de l'usage des aides aux entreprises : «65% de produits manufacturés sont importés en France, on n'est pas souverain sur nos masques. (…) La relocalisation, oui, mais un contrôle qui soit fait sur tout, sur les productions, sur l'économie, sur l'argent qu'on y injecte, (…) ça, la mairie, c'est sa responsabilité».
«Il faut arrêter ces cadeaux au patronat qui ne servent qu'à financer les licenciements. Quand on met de l'argent sur la table, que l'on aide certaines entreprises à se développer, il faut contrôler et avoir un pouvoir de décision sur les orientations de l'entreprise, sur le social», renchérit Maria Da Rocha.
«L'argent qui a été déversé pendant des années, c'est l'argent du contribuable, c'est de l'argent public. La mairie doit avoir un droit de contrôle, il faut arrêter de signer des chèques en blanc. On voit où cela a mené : aujourd'hui, il y a plus rien. Ils ont leur part de responsabilité là-dedans. (…) Ils se sont fait pigeonner à la mairie. Ils ont cru à la dernière reprise avec l'augmentation du nombre de salariés, les chiffres qu'on leur a présentés jusqu'à mi 2020. Ils étaient dans une phase d'observation où ils n'ont pas senti le coup venir. Quand Ibercacao a réuni tout le monde fin décembre 2020 en disant 'maintenant, ça ne va pas du tout', ils ont été les premiers surpris», explique Gaëtan Mazin.
Pour sa part, Maria Da Rocha estime qu'en «municipalisant» l'activité de la Chocolaterie de Bourgogne, la Ville de Dijon contribuerait à réduire le chômage : «on parle de relocalisation, le chocolat, l'alimentaire, y-a-t-il une véritable nécessité que ce soit fait à l'autre bout du monde et que les consommateurs consomment des produits qui viennent de Chine, d'Espagne ou d'Italie ? Cela fait partie de l'environnement, on parle de CO2, on parle de faire en sorte qu'on produise moins de gaz à effet de serre (…) donc relocalisons».
Jean-Christophe Tardivon