L'ancien président du Muséum national d'histoire naturelle est intervenu, le 28 novembre dernier, pour sensibiliser les élus de la Métropole de Dijon, si besoin était, aux enjeux de biodiversité. «Quand on réintroduit de la nature dans les villes, ça fonctionne», a-t-il souligné.
Invité par François Rebsamen à s'exprimer, le jeudi 28 novembre 2024, devant les élus de la Métropole de Dijon, Bruno David, président du Muséum national d'histoire naturelle de 2015 à 2023 et ayant des attaches dijonnaises, a proposé une courte conférence portant sur l'érosion de la biodiversité dans le monde et le développement de la biodiversité en milieux urbains.
Alors que de nombreux scientifiques alertent sur une éventuelle sixième extinction de masse des espèces, le naturaliste a lancé son intervention en demandant si «un avis de tempête» concernait la biodiversité (
retrouver la conférence en début de séance en vidéo).
«Est-ce qu'on entre dans l'anthropocène ?»
Dans le cadre d'une «crise environnementale» en cours, Bruno David note «un déficit culturel» concernant la connaissance des enjeux liés à la biodiversité parmi la population.
Ce constat se double généralement, au niveau du grand public, d'une approche anthropocentriste de l'écologie que l'orateur s'évertuera à déconstruire dans son propos de façon à relativiser la place de l'homme parmi le vivant.
«La biodiversité est compliquée et elle évolue, il faut accepter cette complexité (…) et accepter une dose d'incertitude», enchaîne le conférencier qui se demande «est-ce qu'on entre dans ce que certains appellent l'anthropocène ?»
Le «stade très précoce» d'une «sixième extinction» des espèces
Les facteurs de pression qui s'exercent sur les milieux naturels sont la pollution, la surexploitation des ressources, le développement d'espèces invasives ainsi que le changement climatique. En conséquence, on constate, à ce stade, principalement une diminution du nombre d'individus parmi différentes espèces plutôt que des extinctions d'espèces.
Par exemple, pour des espèces «très ordinaires» d'oiseaux, comme les moineaux, on note une stabilité des populations dans les forêts mais des chutes de 30% du nombre d'oiseaux dans les villages, 40% dans les plaines agricoles et même 70% à Paris.
«Au bout d'un chemin de déclin, il peut y avoir une extinction», alerte le naturaliste, «on est sur les taux des grandes extinctions». «On est bien sur la trajectoire d'une sixième extinction, (…) on en est à un stade très précoce», insiste-t-il en s'appuyant sur les travaux de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES, équivalent du GIEC pour la biodiversité).
«Il faut savoir se poser des questions de consommation»
«On peut réagir rapidement et on a un traitement : notre comportement», analyse Bruno David. «On se perçoit généralement à côté de la nature, (…) nous sommes dans une posture de dualisme. (…) Il faut qu'on arrive à s'ancrer en nature. (…) C'est important de bien comprendre qu'on est en interaction avec le reste [de la nature] et pas à côté.»
«La première chose à faire, c'est de sortir d'une logique de territoires», considère le naturaliste qui appelle à «penser l'agriculture autrement, penser l'urbanisation autrement» et qui souligne «les marges de progrès» liées à des solutions fondées sur la nature.
Le conférencier attire l'attention sur «un défi de mode de vie» : «il faut savoir se poser des questions de consommation» en considérant qu'«il y a un coût à l'inaction», exemple de la pollution au chlordécone en Martinique à l'appui.
Autre exemple : les canicules successives de 2015 à 2020 présentent un coût induit de 30 milliards d'euros pour l'agriculture et la santé publique notamment.
«Homo sapiens est l'espèce invasive numéro 1»
«Peut-on, en conscience, priver nos descendants de la présence des ours blancs ou des renards sur Terre ?» demande Bruno David qui conclue sur un aspect éthique en paraphrasant Claude Bernard : «on ne peut pas utiliser la méthode expérimentale pour savoir si l'humanité saura s'adapter à ses propres excès».
Durant les débats, en réponse à une question de Marien Lovichi (Modem) sur les espèces invasives, Bruno David avance qu'«
Homo sapiens est l'espèce invasive numéro 1».
«Les espèces invasives vont participer à déstabiliser l'écosystème, (…) ça peut devenir un vrai problème (…) pour l'économie de nos sociétés», développe-t-il.
«Notre espèce a le droit d'exister»
Karine Huon-Savina (GE) évoquant un potentiel «message décroissant» dans un contexte de société de consommation, Bruno David prône plutôt «un message de sobriété» et non «une écologie punitive» de façon à «éviter les réticences fortes» dans la population. «Il faut amener à ce que les entreprises, les élus, les concitoyens se posent des questions sur la manière dont il s se comportent et sur les marges de progrès qu'ils peuvent dérouler.»
Selon Philippe Lemanceau (PS), «il est important que l'on puisse quantifier ce qu'apporte cette biodiversité». Lui aussi chercheur, l'élu métropolitain évoque «le changement de paradigme de l'agroécologie» qui incite à ce que les organismes considérés autrefois comme des «ennemis» des agriculteurs puissent devenir des «alliés».
Pour sa part, Jean-Patrick Masson (écologiste indépendant) prend le cas de la renaturation : «avec les meilleures intentions du monde, (…) on intervient de manière un peu aveugle sur des équilibres, on a besoin des scientifiques».
«Il faut éviter d'intervenir avec arrogance», approuve Bruno David, «on ne peut pas mettre la biodiversité en équation directement». «Espérer gérer la planète, c'est une utopie totale. (…) Il y a des choses qui marchent. Quand on réintroduit de la nature dans les villes, ça fonctionne. Il ne faut pas s'empêcher de vivre, notre espèce a le droit d'exister !»
«Notre meilleure assurance-vie, c'est de préserver le reste du vivant»
«Autant le climat nécessite un temps long avant de pouvoir espérer avoir les premiers résultats [de la baisse des émissions de gaz à effet de serre], (…) autant pour la biodiversité, on peut espérer, par des actions rapides, avoir un retour bien plus intéressant, c'est un message d'espoir», analyse Stéphanie Modde (LE).
«Pour la biodiversité, on est très encouragé à l'action», abonde Bruno David, «si on fait un effort là où vous vivez, vous en verrez les fruits là où vous vivez dans pas si longtemps de ça (…) car le vivant est capable de cicatriser».
Le naturaliste rebondit sur la notion de «
one health» ou «une seule santé», impliquant la santé environnementale : «nous sommes dépendants des autres espèces».
«Notre meilleure assurance-vie, (…) c'est de préserver le reste du vivant et de ne pas être trop en promiscuité avec lui non plus», insiste le conférencier.
Un propos approuvé par la suite par Françoise Tenenbaum (PS) qui rappelle que cette notion «
one health» a été intégrée au plan régional de santé et au contrat métropolitain de santé.
Économie et biodiversité
À son tour, Stéphane Woynaroski (PS) demande «comment impliquer le monde économique ?» Invité à faire des conférences auprès d'entreprises et de cercles d'investisseurs, Bruno David indique qu'«il y a une prise de consciences assez large dans la société qu'il y a une question de biodiversité qui est en train de monter». «Avec les bouleversements d'écosystèmes, les premières choses qui vont être perturbées, c'est le fonctionnement de nos sociétés.»
«La croissance – qui est indispensable pour résoudre les problèmes de pauvreté que notre monde connaît – doit être sûre pour porter le moins d'atteintes possible à notre environnement», conclut François Rebsamen (PS, FP), président de la Métropole de Dijon, «le progrès technologique peut nous aider à cela».
Jean-Christophe Tardivon