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06/08/2024 18:03

JUSTICE : L'homme accusé d'avoir volé pour 640000 euros de vins est condamné à un an de prison avec sursis

Le tribunal correctionnel de Dijon a rendu son verdict, ce mardi 6 août. Les maisons de vins Albert Bichot et Joseph Drouhin se sont portées parties civiles.
C'est un des vols les plus important du genre. Un quinquagénaire travaillant pour des maisons de vins du secteur de Beaune était accusé d'avoir progressivement, à partir de 2017, dérobé de multiples bouteilles au sein des maisons Albert Bichot et Joseph Drouhin.

Une fois repéré par une caméra de surveillance d'un site de stockage, en février dernier, les enquêteurs ont retrouvé des milliers de bouteilles au domicile du prévenu qui n'aurait rien bu, ni vendu, expliquant cela par une âme de collectionneur.

Un an de prison avec sursis


Le procès du prévenu, placé sous contrôle judiciaire, s'est tenu, ce mardi 6 août 2023, au tribunal correctionnel de Dijon.

En fin d'après-midi, le tribunal présidé par Nathalie Poux, présidente du tribunal judiciaire de Dijon, a rendu son verdict : reconnu coupable des faits, le prévenu a été condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 10.000 euros.

De plus, il a été condamné à verser un euro au titre du préjudice d'image de la maison Albert Bichot et mille euros au titre des frais d'avocats.

La maison Joseph Drouhin – qui n'était pas représentée ce jour – a été déboutée de sa demande liée au préjudice subi, les vins ayant été restitués.

Du flagrant délit de vol à la découverte de milliers de bouteilles


Les premiers éléments de l'enquête donnaient le vertige. Surpris en flagrant délit en train de déplacer indûment quatre bouteilles – des chambolle-musigny 1er cru et nuits-saint-georges 1er cru pour un montant de 522 euros – dans les locaux de l'entreprise, le 8 février dernier, un technicien de maintenance de la maison Albert Bichot était sommé de s'expliquer.

Après intervention de la police, environ 10.000 bouteilles de vin ont été retrouvées au domicile du quinquagénaire ainsi que dans la maison de sa mère, dans les environs de Beaune.

Certaines avaient été achetées, d'autres offertes, certaines peut-être dérobées de longue date – et donc couvertes par la prescription – mais le mis en cause reconnaissait toutefois deux séries de vols.

Tout d'abord au sein de son employeur d'alors, la maison Albert Bichot, de février 2019 à février 2024 : 1.059 bouteilles et 159 magnums représentant une valeur de 480.085 euros.

Ensuite, chez une précédente entreprise, la maison Joseph Drouhin, en 2017 et 2018 : 226 bouteilles et 25 magnums totalisant 161.720 euros.

Soit l'équivalent de 1.653 bouteilles pour un préjudice de 641.805 euros.

«C'était pour avoir une belle cave», explique le prévenu


Aux enquêteurs puis à la barre, le prévenu a expliqué qu'il avait commencé six mois après son embauche et qu'il subtilisait en moyenne 20 bouteilles par semaine, parfois deux par jour, parfois huit, parfois aucune.

Les flacons n'étaient pas encore étiquetés. Il s'agissait principalement de premiers crus et de grands crus, blancs et rouges. Il faisait cela «machinalement». «C'était pour avoir une belle cave, pour faire joli, c'est la satisfaction d'avoir de belles bouteilles», a-t-il expliqué.

Technicien de maintenance, il avait accès à tous les secteurs de l'entreprise, y compris les plus sécurisés. Toutefois, l'entreprise a fini par identifier des écarts dans ses inventaires et a placé deux caméras de vidéosurveillance supplémentaires permettant de remonter jusqu'à l'auteur de larcins.

«Je reconnais les faits, je n'avais franchement aucune idée du préjudice», a déclaré le prévenu à la barre, «je tiens à m'excuser auprès des maisons de vins et du personnel». «J'ai énormément de remords. J'étais très investi dans cette société, j'aimais énormément mon travail.»

Une expertise a relevé «un symptôme de kleptomanie»


Le prévenu a mis en avant la dimension psychologique de son comportement ; «je suis suivi médicalement ; je serai sous dépression depuis des années, ce serait un palliatif à ce problème-là».

Aucune bouteille n'aurait été vendues. Train de vie et comptes bancaires ont été épluchés durant la procédure, rien de permet de supposer un bénéfice lié à des ventes. Marié, le prévenu vit séparé de son épouse depuis quelques mois. Le couple a trois enfants.

La présidente du tribunal a signalé qu'une expertise psychiatrique a relevé «un symptôme de kleptomanie» mais «aucun signe de dangerosité». Placé sous contrôle judiciaire jusqu'au procès, le mis en cause était interdit de commerce de vin et de travail dans une entreprise viticole. Il a initié des soins de son propre gré.

La maison Albert Bichot demande un euro symbolique


Maître Sandrine Anne, avocate au barreau de Dijon, représentait la maison Albert Bichot. D'emblée, elle a signalé à la présidente du tribunal que «la maison Bichot ne souhaite pas que [le prévenu] soit accablé». Tout en assurant «soutenir l'action publique», elle a demandé «une certaine discrétion».

Quelques jours après la découverte des vols, l'entreprise a licencié le mis en cause pour faute grave : «l'aspect humain n'a pas échappé à l'employeur mais le licenciement était inéluctable». «Albert Bichot s'honore de savoir préserver une dimension humaine.»

Les bouteilles ayant été restituées, la maison Bichot a demandé un euro symbolique pour le préjudice d'image et mille euros d'indemnité au titre des frais d'avocat.

Le procureur entend «faire payer Monsieur par là où il a péché»


«[Le prévenu] est un voleur compulsif !» lance le représentant du ministère public. Pascal Labonne-Collin, procureur de la République adjoint, ironise sur la présence de journalistes dans la salle. Une dizaine, plus que de coutume, alors qu'«un salarié qui vole son employeur, c'est assez banal». Le procureur met en avant la valeur des biens volés pour expliquer cet intérêt médiatique, oubliant au passage la propre notoriété des entreprises lésées.

L'accusateur «ne croit pas à la dépression» du prévenu mais suppose plutôt «des ventes de vins sous le manteau». En fonction de quoi, il a requis la culpabilité du mis en cause, 18 mois de prison avec sursis, 10.000 euros d'amendé pour «faire payer Monsieur par là où il a péché».

La défense critique la procédure choisie pour lancer l'enquête


Maître Nathalie Lepert-de Courville, avocate au barreau de Dijon, a défendu le prévenu. Elle s'est attachée à relever les désagréments qu'il a, lui aussi, subi, à commencer par le début de la procédure.

L'identification de celui qui apparaissait jusque-là comme un employé modèle aurait pu déboucher sur une enquête préliminaire mais c'est le flagrant délit qui a été retenu.

«Monsieur aurait reconnu sa responsabilité, aurait été placé en garde à vue et on aurait engagé des perquisitions plus ordonnées», a-t-elle considéré avant de pointer que le mis en cause soit apparu menotté devant ses collègues ainsi que ses proches et  de s'étonner que les parties civiles aient pu assister aux perquisitions et même «emporter immédiatement leurs vins».

«Il est clair que cet homme est en grande dépression»


«[Le prévenu] vit à la campagne dans un milieu caractérisé par la vie autour du vin», a alors expliqué Maître Nathalie Lepert-de Courville, «ses parents avaient des vignes». «Depuis tout petit, on reçoit de bonnes bouteilles de vin. (…) La vie s'organise autour de l'acquisition de bouteilles de vin. (…) Cet homme accumule depuis toujours. (…) Il boit un verre de vin par jour. (…) C'est un employé irréprochable.»

L'avocate a insisté sur les propos de l'expert qui a analysé les vols comme une façon de «compenser ses manques» et comme «une fonction de lutte contre le vide intérieur et de solitude». «Il est clair que cet homme est en grande dépression», a-t-elle insisté.

«Le vin est un marqueur de la société occidentale absolument essentiel»


«Pourquoi est-ce que cet homme prend du vin ?» a-t-elle fait mine de demander pour exposer sa justification et relativiser la dangerosité du prévenu pour la société.

«C'est un homme qui n'a aucune notion de business, il ne vend même pas son bois», a-t-elle noté avant de souligner la dimension symbolique du vin en général, dans la côte de Beaune en particulier : «le vin est un marqueur de la société occidentale absolument essentiel».

Et de renvoyer au «caractère sacré» du vin et à sa dimension d'«œuvre d'art» car «ce sont des vins réservés à une élite». Donc, «[le prévenu s'empare de la beauté, c'est une tentation de spiritualité».

Le prévenu est comparé au «Passe-muraille» de Marcel Aymé


«Il me fait penser à l'ouvrage de Marcel Aymé, ''le Passe-Muraille'' [NDLR : la nouvelle fantastique, publiée en 1941, a été popularisée dix ans plus tard par le réalisateur Jean Boyer avec Bourvil dans le rôle principal]. Un don incroyable lui permet de passer à travers les murs et vole des bijoux. Il les conserve. Il continue sa collection de timbres», a explicité l'avocate.

Et de faire le parallèle avec une efficacité rhétorique : «[le prévenu] pose les bouteilles qu'il a volées, il n'a même pas goûté le vin. Le week-end, il va utiliser les petits sous épargnés, il va acheter du vin pour les partager avec ses camarades chasseurs».

L'avocate a finalement demandé à la présidente du tribunal «d'apprécier les réquisitions du procureur à la hauteur du comportement de cet homme».

La défense est «satisfaite» du verdict


À l'issue de l'audience, Maître Nathalie Lepert-de Courville s'est dite «satisfaite» de la condamnation à un an de prison avec sursis – soit moins que la réquisition du procureur –  et 10.000 euros d'amende – «inévitable devant le préjudice qui est évident» – ainsi que de l'absence d'injonction de soins.

«C'est quelqu'un qui a un casier judiciaire vierge. (…) Il ne travaillera plus dans le domaine du vin, c'est totalement isolé dans sa vie, il a compris qu'il était en dépression, il est d'ores et déjà suivi», a-t-elle souligné.

La police détient encore 1.500 bouteilles


Les douaniers sont également intervenus devant tant de bouteilles stockées indûment. Le mis en cause a dû vider les flacons restant et régler une amende de 1.500 euros.

En revanche, l'histoire ne dit pas encore ce que vont devenir les quelques 1.500 bouteilles de vins de Bourgogne en possession de la police. Comme les biens frauduleux saisis, elles risquent également d'être détruites.

Jean-Christophe Tardivon