Malgré les tentatives des défenseurs de fustiger les «influences politiques» et de plaider la «légitime défense» des prévenus, ce mardi 5 décembre, le tribunal correctionnel de Dijon a condamné les agresseurs de Jean-Claude Girard qui était assisté de Maître Jean-Philippe Morel.
Le procès des agresseurs présumés de Jean-Claude Girard devant le tribunal correctionnel, ce mardi 5 décembre, a conduit trois magistrats à démêler l'écheveau des témoignages puisqu'une quinzaine de personnes sont impliquées.
Le 23 mai 2021, Jean-Claude Girard (sans étiquette), maire d'Ouges et vice-président de Dijon Métropole, était grièvement blessé au cours d'une altercation avec des proches d'un jeune conducteur de quad à qui il venait de demander de cesser de circuler le long du chemin de halage du canal de Bourgogne et de ne pas se rendre au centre-village.
Un habitant, Daniel T., a également été blessé, laissé au sol ensanglanté. Les médecins notifieront des incapacités totales de travail (ITT) de cinq jours pour le maire, de trente jours pour Daniel T.
«Scène unique de crime» versus «légitime défense»
Ce mardi, l'avocat des parties civiles, Maître Jean-Philippe Morel, et le procureur de la République de Dijon, Olivier Caracotch, se sont attachés à souligner la dimension collective de l'agression de la part d'un groupe fait de «coauteurs» dans le cadre d'«une scène unique de violences» en mettant en avant la circonstance aggravante de violences portées sur un maire dépositaire de l'autorité publique.
Pour leur part, les défenseurs de certains prévenus ont tenu à caractériser la dimension individuelle des implications dans un contexte de procès sous «influences politiques» puisqu'un petit rassemblement d'élus métropolitains, dont François Rebsamen (PS, FP), président de Dijon Métropole, a été brièvement organisé en amont de l'audience en soutien à Jean-Claude Girard (
lire notre article). Président de l'Association des maires de Côte-d'Or (AMF 21), Ludovic Rochette a rejoint le public de l'audience dans la matinée.
Parmi les avocats, certains ont plaidé la «légitime défense» du conducteur de quad lui-même «violenté» par un membre d'une «escouade» de joueurs de pétanque ayant rejoint le maire en étant «Ricardisés» et «armés» de boules. D'autres ont pointé les contradictions dans les témoignages soutenant la démarche du maire. D'autres encore ont insisté sur la démarche des prévenus qui se sont présentés à la gendarmerie devant la médiatisation de l'affaire.
Le tout deux ans après les faits alors que, d'un côté, le contexte national rend plus sensibles les violences à l'encontre des élus, et que, de l'autre, certains prévenus se sont entre temps insérés socialement.
Présentation des prévenus
L'audience débute de façon désordonnée puisque certains prévenus sont absents et d'autres en retard. Une fois tout le monde arrivé, un incident d'audience a marqué néanmoins le public puisque la sonnerie d'un téléphone mobile a retenti du côté des parties civiles peu de temps après que la présidente Hélène Cellier avait sermonné un prévenu pour sa désinvolture. Celle-ci a donc dû faire de même en réaction à cette sonnerie intempestive alors que les différents avocats commençaient à agiter leurs manches.
Première séquence de l'audience, la présentation des prévenus. Émile P., conducteur du quad, est né en 2001. Il vit à Dijon chez son oncle, étant interdit de territoire à Ouges où il vivait chez sa mère. Il a effectué 14 jours de détention provisoire en mai et juin 2021 puis a été placé sous contrôle judiciaire. Il travaille actuellement comme livreur et ne se présente plus auprès du service pénitentiaire d'insertion et probation (SPIP), arguant ne plus recevoir de convocation. Il lui a été notifié une suspension de permis de conduire après un refus d'obtempérer.
Né également en 2001, Cédric P. est le frère jumeau du précédent prévenu. Il vit à Ouges chez sa mère. Demandeur d'emploi, il subsiste grâce à une allocation. Il doit 7.000 euros au Trésor public pour des amendes liées au non respect du confinement pendant la crise sanitaire.
Né en 2001, Tiago P. Z. vit à Ouges chez sa mère. Il est footballeur professionnel. Il ne se présente plus au SPIP du fait d'un changement de conseiller et, dans ce contexte, n'a pas effectué de travail d'intérêt général pour un port d'armes de catégorie D et un vol avec violences en mars 2021.
Absent, Rahyan M. a été placé en détention provisoire en juin 2021 puis en contrôle judiciaire. Il a été placé sous bracelet électronique pour une autre affaire de violences en 2022. Jugé trois semaines avant les faits, il a été condamné à trois mois de prison avec sursis probatoire pour extorsion. Durant l'instruction, le prévenu a fait état de violences intrafamiliales subies dans son enfance avant un placement dans une famille d'accueil. Il est inscrit à Pôle emploi et suivi par le SPIP.
Absent, Oussama M. compte deux mentions dans son casier judiciaire dont une de janvier 2021, précédant les fais de quelques semaines. Il s'agit d'infraction liée à la détention de produits stupéfiants et de violences sur personne dépositaire de l'autorité publique. Le sursis probatoire court jusqu'en janvier 2024. Il est assidu auprès du SPIP mais n'a pas donné suite à une obligation de soins du fait d'une addiction.
Né en 2003, Soufian K. habite à Dijon et vivait auparavant à Ouges. Il est placé en contrôle judiciaire depuis mai 2021. Après avoir travaillé dans un restaurant puis avoir été livreur, il loue des véhicules en tant qu'autoentrepreneur. Alors encore mineur, il est passé devant le juge des enfants pour dégradations par moyen dangereux.
Né en 2001, Steven G. habite chez ses parents dans le quartier du bief du moulin à Longvic. Placé en contrôle judiciaire depuis mai 2021, il travaille dans un hypermarché dans le cadre d'un contrat pro. Par le passé, il a effectué 35 heures de travail d'intérêt général pour un vol en réunion. Il met en avant les «bons retours» de sa conseillère du SPIP.
Résumé des faits
Autour de 18 heures, le 23 mai 2021, Jean-Claude Girard se promène avec son épouse rue Guynemer. Il croise un homme circulant en quad et se dirigeant vers le centre-ville. La situation se déroule dans un contexte où de nombreux habitants se plaignent régulièrement de nuisances provoquées par des personnes faisant des rodéos motorisés.
Jean-Claude Girard demande au conducteur de s'arrêter puis de ne pas rouler vite. Fuse un «T'es qui toi pour me parler comme ça ?», témoigne-t-il. Et de décliner sa qualité de maire. Suit un «J'en ai rien à foutre, je vais descendre de casser la gueule» et le ton monte.
Présent sur les lieux, un conseiller municipal informe six joueurs de pétanque installés non loin de là. L'épouse de Jean-Claude Girard se rend chez une connaissance pour prévenir la gendarmerie.
Un des joueurs de pétanque, Lionel D. se présente, pousse Émile P. contre un grillage et enlève la clé de contact du quad. Jean-Claude Girard demande alors qu'elle lui soit rendue, ce qui est fait.
«J'appelle mon frère», leur signale Émile P. qui, selon les témoins, est agressif : «Je vais te casser la gueule». Une fois les clés rendues, la situation s'apaise néanmoins. Les joueurs de pétanque s'apprêtent à repartir quand arrivent de nouveaux protagonistes véhiculés par un scooter, une trottinette électrique et une voiture BMW blanche.
Les faits s'accélèrent et la situation devient confuse. Jean-Claude Girard reçoit un coup de pied au niveau du thorax puis un coup derrière la tête qui lui fait perdre connaissance.
Autre joueur de pétanque venu à la rencontre de Jean-Claude Girard, Daniel T. subit l'assaut de plusieurs individus, peut-être quatre. Il se protège d'un coup de barre de fer puis tombe au sol où il reçoit encore des coups. Poussée au sol, son épouse tente toutefois de le protéger des agresseurs.
Lionel D. va chercher une arme de chasse présentée comme «hors d'usage» et «non chargée» afin de l'exhiber pour faire fuir les connaissances d’Émile P., ce qui arrive effectivement. Certains s'éloignent pour de bons, d'autres se cachent dans des buissons où ils seront débusqués par les gendarmes.
Pris en charge par les sapeurs-pompiers, Jean-Claude Girard ne se souvient pas d'avoir perdu connaissance.
Du fait de la confusion, les identifications des agresseurs sont rendus difficiles. Lors d'un tapissage, Jean-Claude Girard n'est pas en mesure de reconnaître les prévenus.
«J'ai eu peur, j'étais tout seul et encerclé», se souvient le pilote du quad
Viennent les interrogations des prévenus, à commencer par le conducteur du quad. Émile P. indique à la présidente du tribunal qu'il n'avait pas «la connaissance que c'était illégal de rouler [le long du chemin de halage]» et qu'«[il] ne roulait pas vite car approchait d'une intersection». Il reconnaît s'être «emporté».
«Je me suis excusé plusieurs fois et j'ai proposé de partir avec mon quand éteint et de le pousser mais on ne m'a pas laissé partir», explique-t-il. «J'ai eu peur, j'étais tout seul et encerclé, il y avait des gens agressif. (..) J'ai passé un appel pour faire venir quelqu'un que je connaissais et me sentir en sécurité. (...) Je dis qu'il y a des personnes avec des boules de pétanque.»
Après, «une personne s'est approché de moi avec une boule pétanque, mon premier instinct, j'ai donné une claque» puis «les coups sont partis des deux côtés».
«Il y a beaucoup de personnes qui empruntent ce chemin en quad ou en moto et malheureusement c'est tombé sur moi», répond Émile P. interrogé par Maître Jean-Philippe Morel qui évoque un appel pour «une expédition punitive».
Défendant Émile P., Maître Pierre-Henry Billard insiste sur le quad qui «ne fait pas de bruit» et sur «l'équipement réglementaire» porté par le pilote, en possession de l'engin depuis «une semaine».
«J'ai parlé avec une dame calmement, sans crier, la seule personne avec qui on a parlé calmement», signale Émile P. tandis que l'avocat cite cette personne : «le jeune voulait remonter sur son quad et partir, le maire a dit 'pas question'».
«On m'a rendu mes clés mais je ne pouvais pas reprendre mon quad car il était à proximité de toutes ces personnes, je me suis éloigné mais j'ai laissé mon quad sur place», ajoute Émile P.
De potentielles pressions internes sur les prévenus
La présidente rappelle des éléments de l'instruction selon lesquels Oussama M. et Rahyan M. auraient porté des coups tour à tour à Daniel T. Oussama M. évoque une «pression monumentale» exercée par une personne du groupe, il dit «regretter» mais en ayant «extrêmement peur des représailles».
Cédric P. indique venir à l'appel de son frère sans barre de fer ou bâton ou matraque, des armes mentionnées par des témoins : «On sortait du McDo, on n'avait rien du tout». Le prévenu reconnaît avoir donné une claque à un des joueurs de pétanque.
«Il y a eu un coup de fusil qui a été tiré en l'air», assure Cédric P., «on voit le fusil, on entend la détonation, on a tous pris la fuite, je prends le quad et je rentre chez moi».
Disant être resté en retrait de la situation bien qu'étant arrivé avec la BMW blanche, Tiago P.Z. déclare avoir vu «quelqu'un [qui] essaie de mettre un coup avec des boules de pétanque à Émile». Il reconnaît un coup de pied sur Daniel T., au niveau du tronc, alors qu'il était à terre.
Conducteur de la BMW blanche, Soufian K. indique avoir été informé d'«un problème avec le quad et qu'ils sont plusieurs à lui mettre la pression». «Ils sont plusieurs, on ne va pas arriver à deux ou à trois», répond-il à la présidente qui s'interroge sur le nombre de connaissances d’Émile P. faisant le déplacement.
Bien qu'il se soit lui aussi rendu sur place, Steven G. a été prévenu indirectement, «par un petit du quartier à Longvic». Il reconnaît l'usage d'un bâton en métal – il mime une longueur d'environ 50 cm –, trouvé dans un buisson le long du canal pour taper au sol et «être crédible» en arrivant.
«J'ai directement vu deux hommes à terre, j'étais sous un état de choc, c'était la première fois que j'étais dans un altercation, j'ai entendu des cris, c'était assez affolant ce qui se passait», explique-t-il.
Lui aussi évoque la crainte de représailles : «quand on vit dans un quartier, on n'est jamais assez bien protégé, on n'est pas comme dans une commune pavillonnaire, c'était ma première altercation, j'avais peur». «Avec mes parents, on a fui un pays qui était en guerre», précise-t-il, faisant part de difficultés d'interactions sociales en étant enfant.
«Le coup qui m'a été porté aurait pu être fatal», signale Jean-Claude Girard
Jean-Claude Girard se souvient d'«un regard haineux» quand il a interpellé le pilote du quad puis d'une sortie des occupants de la BMW blanche d'«une manière énergique». Il leur demande de se calmer, fuse un «Faites le taire celui-là». S'ensuit le coup au thorax puis le coup à la tête par derrière.
«Je ressens encore aujourd'hui cet impact. Le coup qui m'a été porté aurait pu être fatal», indique-t-il mais insiste plutôt sur les séquelles psychologiques «pour très longtemps» en songeant également aux conséquences pour son épouse et les témoins.
«L'image de marque d'Ouges a été fortement impactée par cette notion d'agression», ajoute le maire.
«Dans une commune de taille intermédiaire, l'engagement du maire est un engagement de tous les instants, la famille est par moment sacrifiée au bénéfice des autres», commente Maître Jean-Philippe Morel.
En interrogeant Jean-Claude Girard, Maître Pierre-Henry Billard s'attache à mettre en avant le ressenti d’Émile P. en pointant la «peur» potentielle de son client entouré par les joueurs de pétanque. Ce qu'il développera dans sa plaidoirie.
«Ce n'est pas un procès politique», assure Maître Jean-Philippe Morel
Après une suspension le temps de la pause méridienne, Maître Jean-Philippe Morel plaide au nom des parties civiles : Jean-Claude Girard et son épouse, Daniel T. ainsi que la commune d'Ouges.
Alors que «la présence des mis en cause est confirmée à Ouges ce jour-là», «je n'ai entendu aucun de regret de quiconque», glisse l'avocat. «La dimension symbolique, civique, pédagogique de ce procès nous laisse relativement sur notre faim.»
«Ce n'est pas un procès politique», lance-t-il en anticipant la défense de Maître Pierre-Henry Billard, «la qualité de Monsieur Girard créée une dimension particulière à cette affaire, il ne faut pas en tirer une dimension excessive par voie de presse. (…) Monsieur Girard n'est pas un élu du Texas qui serait à la tête d'une milice de shérifs mais quelqu'un d'assez modéré qui consacre tout son temps au service de sa commune semi-rurale».
«Le cadre d'action, le genèse de cette affaire, c'est Émile [P.], qui avec la puissance de son quad se croit affranchi des règles de tout un chacun. (…) Le maire n'a pas agi hors d'un cadre légal. (…) La réglementation des chemins de halage dit que ne peuvent circuler que ceux qui sont autorisés. (…) Les élus peuvent parfaitement constater les infractions», développe l'avocat.
Maître Jean-Philippe Morel balaie la thèse de la «légitime défense» qui sera avancée dans la plaidoirie finale : «[Émile P.] ne supportait pas qu'un citoyen de la commune lui fasse une quelconque remarque. (…) On peut pousser quelqu'un sans que ce soit un acte de violence qui serait le premier élément qui aurait justifié la légitime défense. (…) Pas besoin de port d'armes pour jouer aux boules, il était plus là comme témoins que comme les renforts. (…) Les renforts, c'est la gendarmerie, on ne se fait pas justice soi-même».
L'avocat des parties civiles argumente plutôt sur la propre anticipation des protagonistes : «la démarche était d'appeler des gens en renfort pour en découvre, ils viennent par tous les moyens disponibles. (…) La plupart ne savaient pas pourquoi ils venaient mais ils viennent avec des barres de fer».
Concernant Daniel T., il s'agit d'une «victime directe». La commune d'Ouges demande un dédommagement d'un euro symbolique, pour «l'atteinte à l'image de la commune qui résulte de cette agressions».
«Il y a la volonté d'affirmer une autorité qui ne serait pas celle de l'autorité du maire», analyse le procureur Olivier Caracotch
Ce sont des «faits d'importance», enchaîne le procureur Olivier Caracotch qui insiste sur «émoi suscité par cette affaire» en rappelant que des agressions d'élus peuvent entraîner un décès, comme ce fut le cas pour le maire de Signes (Var), en 2019.
Le représentant du ministère public considère qu'«une logique territoriale» était à l’œuvre dans l'action des prévenus : «on ne peut pas s'en prendre à quelqu'un qui fait partie du groupe, il y a la volonté d'affirmer une autorité qui ne serait pas celle de l'autorité du maire».
Le procureur mobilise la notion de «scène unique de violences» impliquant donc des «coauteurs» : «peu importe que l'on caractérise ou non que A frappé X, que Y n'a peut-être pas touché Z. Quand on fait partie du groupe, on peut être condamné pour l'intégralité des violences commises sur les victimes. Le principe de la scène unique fait en sorte que la responsabilité de chacun doit être engagée».
«Des armes, il y en a eues, des armes, il en a été fait usage. Les blessures sont symptomatiques de lésions de défense qui ne sont pas dues à un coup porté à main nue», pointe-t-il enfin.
Le procureur requiert notamment pour tous les prévenus la confiscation des scellés et l'interdiction de séjour à Ouges pendant trois ans de façon à «dire que ce n'est pas la forcé illégitime qui gagne mais l'application de la loi». Individuellement, les peines requises vont 12 mois de prison avec sursis à 12 mois de prison ferme.
«La scène unique de violence n'est pas la clé magique quand on n'a pas de preuve», lance Maître Samuel Estève
Défenseur de Soufian K., Maître Samuel Estève insiste sur des points formels, considérant la motivation de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal comme «lunaire».
L'avocat demande à «déterminer le rôle» de son client : «venir transporter des gens en voiture ça ne suffit pas à caractériser qu'il est coauteur. (…) Vous n'avez aucun élément objectif pour démontrer que Soufiane K. a été avec les autres au devant des protagonistes et a participé à des violences».
«La scène unique de violence n'est pas la clé magique quand on n'a pas de preuve», lance le défenseur, «ça sert à éviter la question de qui frappe qui mais ça ne sert pas à éviter se savoir que les gens ont participé aux violences».
«Pas de prix de groupe, pas de justice à la louche, je veux de la justice au bistouri, de la bonne justice, de la justice de précision», revendique Maître Samuel Estève qui demande la relaxe de son client.
«On a fait de ce dossier un procès politique», selon Maître David Cabannes
Défenseur de Steven G., Maître Pierre-Vincent Connault relève «l’honnêteté bien mal récompensée» de son client qui s'est identifié à partir d'une vidéo où il n'était pas reconnaissable. «Cette attitude et la posture utilisée durant toutes ses déclarations démontrent l’absence de volonté de vouloir adopter un comportement violent», ajoute-t-il avant de demander un non lieu.
Au passage, l'avocat pointe la «vidéosurveillance illégale» effectuée par un riverain.
Défenseur de Tiago P. Z., Maître David Cabannes partage son inquiétude d'avoir vu «un certain nombre d'élus» devant la cité judiciaire juste avant l'audience : «c'est clair depuis le début, on a instrumentalisé le procès, on a fait de ce dossier un procès politique».
«L'ordonnance de renvoi devant le tribunal est particulièrement légère sur les liens de causalité», pointe-t-il à son tour, «peut-être qu'on envisageait déjà d'être couvert par cette scène unique de violences. (…) Les méchants ont attaqué les gentils, ce n'est pas ça la scène unique de violence».
Même si son client a reconnu un coup de pied porté à un homme à terre, l'avocat insiste sur le fait que «Monsieur P. Z. n'est pas un jeune de banlieue, il n'a jamais été impliqué dans des faits de violences». Et de demander un sursis simple, voire un TIG.
«En pratique, c'est un jeune qui est victime d'un attroupement», analyse Maître Pierre-Henry Billard
Défenseur d’Émile P., Maître Pierre-Henry Billard estime qu'«on a beaucoup fait de caricatures dans ce dossier, (…) d'un côté des honnêtes, de l'autre des voyous, la présomption de bonne foi d'un côté, de mauvaise foi de l'autre».
Concernant l'atteinte à l'image de la commune, l'avocat analyse que «la médiatisation de ce dossier a été entretenue par [le maire] lui-même et relayée par les services du procureur de la République. C'est un dossier dans lequel le politique est intervenu au niveau du judiciaire».
«Il y a eu un traitement spécifique de ce dossier par l'institution judiciaire a raison des influences politiques locales qui ont soufflé et le traitement médiatique qui en a été fait est en accord avec cette réalité politique», insiste-t-il.
«On oublie de poursuivre Monsieur D.», glisse Maître Pierre-Henry Billard, «sans l'intervention de Monsieur D., ce dossier n'aurait pas existé».
Puis, l'avocat retourne l'accusation portée à l'encontre des mis en cause ce qui amène une personne soutenant Jean-Claude Girard à sortir de la salle du tribunal, choquée.
«Je considère que, ce jour-là, la première victime identifiée de ce dossier, c'est Monsieur Émile P. (…) Il s'arrête parce que Monsieur Girard ''se met en travers de sa route de manière à l'arrêter''. (…) Qu'un maire est aussi un policier municipal, vous ne pouvez le savoir quand vous vous appelez Émile P. et que vous vivez rue du bief du moulin à Longvic», postule le défenseur.
Et de proposer des équivalences communicationnelles. «T'es qui toi pour me parler comme ça ?» voudrait dire «Qu'est-ce que j'ai fait de mal, pourquoi vous m'arrêtez ?». Un «maire» serait un «chef du village». Une «conversation houleuse» serait une façon pour le maire de «c'est moi le boss».
Poursuivant son raisonnement, Maître Pierre-Henry Billard juge que les joueurs de pétanque ont constitué une «escouade», venant ainsi à l'argument que réfutait par avance Maître Jean-Philippe Morel. Les boules de pétanque devenant des «armes par destination» potentielles.
«Monsieur D. est arrivé tel un cow-boy et a enlevé les clés du quad. (…) Certains étaient passablement Ricardisés, c'est dans le dossier», décrit-il pour en venir au point d'orgue de l'argumentation : «imaginez la peur que ce gamin peut avoir».
«En pratique, c'est un jeune qui est victime d'un attroupement avec confiscation des clés de son véhicule» analyse-t-il avant de mentionner les dermabrasions que présentait Émile P. constatées par certificat médical, présumément consécutives à la poussée par Lionel D. contre un grillage.
«Je pense qu'il était en danger», martèle le défenseur, «il a appelé son frère jumeau au secours en français. (…) Ils viennent parce qu'il y a un appel au secours, ils viennent pour l'exfiltrer. (…) La suite dépasse totalement les uns et les autres».
L'avocat charge l’absent : «Lionel D. agresse Émile P. sur la première scène de violence, il commet des violences aggravées sur la deuxième scène». Et d'évoquer l'«apothéose» : «Monsieur D. va chez lui, prend un fusil de chasse et braque le groupe. Il y a eu des coups de feu, c'est la juge d'instruction qui l'écrit. (…) On ne peut pas banaliser cette attaque».
Maître Pierre-Henry Billard rappelle avoir demandé un non lieu au stade de l'instruction et réclame donc la relaxe pour son client : «la justice est là pour faire du droit et pas de la morale».
Pour sa part, Cédric P. se présente sans avocat, celui prévu étant reparti avant que le prévenu ne se présente au tribunal, en retard. Cédric P. ne souhaite pas s'exprimer à ce stade.
«Je n'ai pas voulu faire peur, si cela a été le cas je suis désolé envers toute la communauté d'Ouges», glisse timidement Steven G. pour sa dernière défense.
Tous les prévenus sont déclarés coupables
Le délibéré intervient moins de deux heures après la fin de l'audience, au soulagement de Jean-Claude Girard qui craignait de devoir encore patienter de longues semaines pour connaître le jugement.
Le tribunal correctionnel a modulé certaines réquisitions du procureur de la République mais tous les prévenus sont déclarés coupables.
Émile P. : est condamné à une peine de 15 mois de sursis de prison assortie d'un sursis simple
Cédric P. : peine de 12 mois de prison assortie d'un sursis probatoire de 18 mois et de 140 heures de TIG
Tiago P.Z. : peine de 12 mois de prison assortie d'un sursis probatoire de 18 mois
Soufian K. : peine de 10 mois de prison assortie d'un sursis simple
Steven G. : peine de 8 mois de prison assortie d'un sursis simple
Oussama M. : peine de 8 mois de prison ferme
Rahyan M. : peine de 8 mois de prison ferme
Des peines complémentaires sanctionnent tous les condamnés : confiscation des scellés et interdiction de séjour à Ouges durant deux ans.
«La commune est reconnue victime d'une atteinte à son image», note Maître Jean-Philippe Morel
Au civil, les condamnés sont jugés responsables solidairement et doivent notamment verser plus de 160 euros à la Caisse primaire d'assurance maladie, ainsi que des dédommagements pour préjudice moral à hauteur de 3.500 euros à Jean-Claude Girard, de 4.000 euros à Daniel T., de 500 euros à l'épouse de Jean-Claude Girard et d'un euro symbolique à la commune d'Ouges.
Alors que les avocats de la défense n'excluent pas de faire appel, Maître Jean-Philippe Morel salue globalement «une bonne décision» et se félicite en particulier que, chose rare, «la commune soit reconnue victime d'une atteinte à son image».
Ludovic Rochette se dit «très satisfait des peines exemplaires prononcées à l’encontre de ses agresseurs» car «c’est un message très fort adressé aux maires et aux communes de notre pays».
Jean-Christophe Tardivon