Durant sa mission, le soignant a contribué à 150 opérations au bloc opératoire de l'hôpital de campagne installé par la Sécurité civile à Mamoudzou. Ce jeudi 2 janvier, à Dijon, il a détaillé son activité et partagé ses souvenirs les plus touchants.
«L'hôpital de campagne a été monté à l'autre bout du monde en moins de 36 heures avec le drapeau français.» Les sapeurs-pompiers ont effectivement déployé une infrastructure d'urgence dans un stade de l'île de Grande-Terre, à Mayotte, après le passage du cyclone tropical Chido sur l'archipel des Comores, le 14 décembre dernier.
Le Docteur Sébastien Mirek, médecin anesthésiste-réanimateur, chef du service d'anesthésie-réanimation des Hospices civils de Beaune, et sapeur-pompier volontaire en tant que médecin-capitaine rattaché à la caserne de Bligny-sur-Ouche, a été un acteur privilégié de cette infrastructure de catastrophe de la Sécurité civile.
Volontaire pour intervenir à Mayotte
Dans le cadre d'un appel national, après sélection des volontaires par la zone de défense est, le Service départemental d'incendie et de secours de la Côte-d'Or (SDIS 21) a envoyé deux sapeurs-pompiers à Mayotte : le médecin-capitaine Sébastien Mirek, parti le 16 décembre dernier, et le lieutenant Sébastien Jeannin, parti le 20 décembre dernier (
lire le communiqué).
Tout juste rentré à Dijon, ce jeudi 2 janvier 2025, le Docteur Sébastien Mirek a témoigné de son activité de soignant auprès de la population de l'île dévastée par le cyclone.
L'hôpital de campagne de la Sécurité civile
Certifié par l'Organisation mondiale de la santé, l’Élément de sécurité civile rapide d'intervention médicale (ESCRIM) peut être déployé suite à des catastrophes naturelles. Le matériel aérotransportable est basé à Nîmes et est mis en œuvre par le SDIS du Gard.
Imaginé par des médecins sapeurs-pompiers après le tremblement de terre survenu à Mexico, en 1985, il constitue, selon le ministère de l'Intérieur, «un hôpital de campagne à la pointe de la technologie». «L’ESCRIM permet de prendre en charge des patients avec une qualité de prestation comparable à une structure en dur, à l’exception de certaines spécialités comme la chirurgie cardiaque ou la neurochirurgie lourde.»
L'hôpital de campagne est prévu pour 150 patients par jours. Il compte deux blocs opératoires, d'une maternité, d'une unité de soins intensifs-réanimation, d'un laboratoire et d'un service de radiographie.
Il est armé par une trentaine de sapeurs-pompiers du Gard, professionnels et volontaires, renforcés par une quarantaine de sapeurs-sauveteurs, généralement issus des unités militaires de la sécurité civile mais pouvant provenir également d'autres unités. Parmi eux, une cinquantaine de personnels médicaux : médecins, pharmaciens, infirmiers, chirurgiens, anesthésistes, sages-femmes…
Ouvert dix jours après le passage du cyclone
Des avions de fret ont acheminé les 65 tonnes du matériel réparties en 32 palettes représentant 380 mètres cubes. Tout d'abord un trajet en Antonov du Gard jusqu'à La Réunion puis cinq rotations d'Airbus A400M jusqu'à l'aéroport de Petite-Terre et enfin un transport par barges jusqu'à Grande-Terre.
La Sécurité civile a ouvert cet hôpital de campagne dans le stade de Cavani, à Mamoudzou, le 24 décembre dernier, au moment où l'activité du centre hospitalier de Mamoudzou (CHM) avait chuté à 60%.
Toutefois, l'alerte cyclonique avait conduit a des évacuation sanitaires de patients du CHM vers La Réunion, en amont de l'arrivée de Chido, de façon à amoindrir la charge d'activité face à la catastrophe annoncée, notamment dans le service de réanimation du CHM.
Cependant, dès ses premiers temps d'activité, l'ESCRIM a connu des pics à 300 patients par jour dont 25 opérations.
«On a un attachement à Mayotte»
«On a participé au déploiement de l'hôpital de campagne ESCRIM», résume le Docteur Sébastien Mirek, à peine arrivé sur le sol côte-d'orien, «c'est une aventure difficile mais extrêmement enrichissante au service de la population». «Je remercie ma compagne, nos enfants, notre famille qui m'ont permis effectivement de partir. (…) On a un attachement à Mayotte.»
Le soignant de 42 ans connaissait les îles du département français de Mayotte pour avoir mené une mission en 2023 au sein du CHM avec son épouse, infirmière et également infirmière sapeur-pompier volontaire auprès du SDIS 21.
«J'ai vu l'île totalement changée avec une végétation totalement transformée, des bâtiments totalement détruits», témoigne-t-il, «l'île a vraiment souffert de ce cyclone». «Les palmiers, il n'y en a plus. Les collines remplies de palmiers, il n'y a plus rien, on voit à peine les troncs. (…) Les bateaux sont échoués un peu partout. (…) Sur Grande-Terre, les habitations en dur ont souffert et toutes les habitations de type bidonville sont complètement à terre.»
De nombreuses blessures liées à des tôles
À Mayotte, le médecin anesthésiste-réanimateur a mené son activité comme à Beaune, travaillant avec le Professeur Sébastien Gaujoux, chirurgien viscéral de la Pitié-Salpétrière, à Paris, et le Docteur Louis Brac, médecin anesthésiste-réanimateur du centre hospitalier Annecy Genevois.
Par 35°C, le soignant a passé l'intégralité de la mission au niveau des blocs opératoires avec juste quelques sorties à proximité pour aider les équipes à prioriser les patients attendant à l'extérieur du stade ou jusqu'au CHM pour organiser les filières de soins.
«Par ma spécialité d'anesthésiste-réanimateur, je connais les spécificités des pathologies graves, les urgences vitales et les spécificités chirurgicales en lien étroit avec la médecine d'urgence et la réanimation», souligne-t-il. «Les quelques jours en amont du déploiement, on a énormément travaillé avec notre équipe pour pouvoir coordonner nos protocoles, personne ne se connaissait, on a cette habitude d'adaptation. À l'arrivée, on était opérationnel tout de suite.»
«Il y avait beaucoup de blessures liées à des plaies, liées au cyclone, directes ou indirectes, (…) des blessures par des tôles, (…) des plaies au niveau des membres qui s'infectent», indique-t-il.
Certains patients amputés à l'hôpital de campagne ont été pris en charge au centre hospitalier de Mamoudzou pour envisager une rééducation. Idem pour les urgences vitales : «il ne faut pas qu'il y ait une perte de chance, on stabilise sur place et, dès qu'on a une stabilisation, on fait le transfert».
«C'est une réussite collective»
En sept jours effectifs, le Docteur Sébastien Mirek a participé à 150 interventions anesthésiques et chirurgicales.
«C'est une réussite collective. (…) C'est éprouvant mais le collectif fait qu'on arrive à tenir», témoigne-t-il, «j'en en tête des sourires de patients, d'enfants, de mamans et des mercis». «Les retour que l'on avait sur place, c'est que la population est très satisfaite de cette prise en charge. (…) On n'a jamais eu de situation de tension. (...) De l'intérieur de l'hôpital, ils se rendent compte que l’État est très présent. (…) Notre objectif, qui a été rempli, c'est de prendre en charge tout le monde, comme on fait à l'hôpital.»
«Je retiens des images de travail d'équipes qui sont assez fortes, en fait, et qui nous ont marqués», ajoute-t-il, «on a eu l'impression d'être utile pour la population, pour l'hôpital, pour les autorités sanitaires». «L'ESCRIM a bien joué son rôle sur place.»
«C'était important que les politiques puissent voir les conditions de travail»
Immergé dans son activité, le soignant est resté à distance des polémiques médiatiques concernant notamment les déplacements des membres de l'exécutif national à Mayotte.
«L'hôpital de campagne tournait à pleine régime», insiste le Docteur Sébastien Mirek. Même pendant la visite du Premier ministre François Bayrou : «on avait la tête dans le guidon en train de travailler».
«C'était important que les politiques puissent voir aussi les conditions de travail, les mêmes qu'en métropole, avec un bloc opératoire, un service de réanimation», considère-t-il.
Le soignant gardera en mémoire la rencontre entre un jeune homme, amputé d'un membre, seul à Mayotte, et les ministres venus le saluer : «après, je lui ai donné les photos de cette visite, il a eu les larmes aux yeux et je les ai eues aussi». «C'est une façon de dire que la France est présente.»
Une naissance le soir de Noël
Parmi les souvenirs de cette mission, le soignant garde en tête la prise en charge d'une maman ayant accouché dans une voiture sur le parking du stade, le soir du 24 décembre dernier : «c'était pour le réveillon de Noël, j'étais le premier à intervenir, on a pris en charge la maman et le bébé qui a été transféré sur l'hôpital de Mamoudzou parce qu'il avait un peu souffert de cet accouchement rapide».
«C'est le premier bébé de l'ESCRIM», relève-t-il avec émotion, «tous les soignants qui était sur place gardent le souvenir du regard de cette enfant qui s'appelle Anna». «J'ai pris des nouvelles, elle va bien et sa maman aussi.»
Un prochain retour d'expérience avec le SDIS 21 et le SDIS 30
Comme à l'aller, le voyage de retour s'est effectué en plusieurs étapes avec une escale d'une journée à La Réunion puis un transfert avec un véhicule du SDIS 21 d'un aéroport francilien jusqu'à Dijon.
Après sans doute un prochain passage à l'hôpital de Beaune pour saluer l'équipe ayant assuré la continuité des soins, le Docteur Sébastien Mirek réintègrera le service d'anesthésie-réanimation dès la semaine prochaine.
Du côté des sapeurs-pompiers, des rapports ont été régulièrement envoyés par le médecin-capitaine. Un prochain retour d'expérience est prévu avec les équipes du SDIS 21, notamment du Service secours santé médical (SSSM), ainsi qu'avec celles du SDIS 30 pour envisager des «améliorations» de la prise en charge des patients de l'ESCRIM.
Jean-Christophe Tardivon
Au centre, le médecin-capitaine Sébastien Mirek à son retour en Côte-d'Or, le 2 janvier 2025, à Dijon (photographie JC Tardivon)
L'ESCRIM, hôpital de campagne de la Sécurité civile (image d'illustration SDIS 30)
Une intervention dans l'ESCRIM, à Mamoudzou (photographie C. Hiebler / SDIS 30)
Prise en charge d'un bébé à la maternité de l'ESCRIM, à Mamoudzou (photographie C. Hiebler / SDIS 30)
Le Docteur Sébastien Mirek au bloc opératoire de l'ESCRIM, à Mamoudzou (DR)
De gauche à droite : le Docteur Sébastien Mirek, le Professeur Sébastien Gaujoux et le Docteur Louis Brac (DR)