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22/01/2024 03:17
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Raphaël Thiéry : «J'ai eu 35 opérations de l'oeil, alors avec la gueule que j’ai…»

Ce n’est pas parce qu’il répond modestement qu’il a Bac+5 que Raphaël Thiéry Thi"rry crève l’écran. Ce Bourguignon originaire de Sainte-Colombe sur Seine, devenu Morvandiau à Anost présente en avant-première «L’homme argile» au Darcy à Dijon. Il s’est auparavant confié dans une longue interview, dans laquelle il parle cash !



A Anost, le village qui bouge le plus du Morvan, avec notamment sa traditionnelle Fête de la Vielle, il y a eu René Prétet, éminent homme de presse, il y a René Fortin, l’emblématique patron de La Galvache qui vit sa retraite… Il y a encore l’écrivain Didier Cornaille qui continue d’écrire pour ne pas s’ennuyer. Y vit aussi, de temps en temps, James Thierré, l’artiste aux 2 César et 5 Molière, petit-fils de Charlot. Mais aussi Victoria, sa maman. A Anost, passe encore, une fois par an, Mylène Farmer.

Eh bien comme si cela ne suffisait pas, A Anost il y a aussi Raphaël Thiéry qui s’est fait connaitre avec sa cornemuse, beaucoup. Sur les planches, pas mal. Et désormais sur les écrans de cinéma. Il a déjà monté les marches à Cannes. Et il est un des deux premiers rôles de l’Homme d’Argile, qui enchaine les avant-première, avant sa sortie officielle. Le comédien se confie dans une interview, après son passage à Sainte-Colombe et à Anost, avec des projections qui ont fait le plein. Et juste avant une avant-première au Cinéma Le Darcy à Dijon.
 
Jusqu’en quelle année, êtes-vous  resté à Sainte-Colombe ?
RAPHAEL THIERY : «J'y suis resté jusqu'à l'âge de 18 ans.

Et après ?
«Je suis parti en Fac à Dijon et je dis toujours que j’ai Bac +5, car je suis allé 5 jours en fac…»
Comment cela 5 jours ?
«J'ai vite rendu compris que la vie en Fac de géographie à Dijon, ce n'était pas pour moi. Oui, oui, ça m'a fait chier. Cette vie, ce n'était pas pour moi»

Et après ?
«J'étais pion à Laignes, dans le nord de la Côte d'Or, à mi-temps. Et puis j'en ai profité quand j'avais du temps pour faire du collectage. Et j'ai commencé à rencontrer des musiciens. On m'a dit, oh non, des musiciens traditionnels, il n'y en a plus. Ça, c'était donc en 82. Moi, ce n'est pas le genre de truc qu'il faut me dire. En fait, j'ai rencontré des musiciens. Je suis allé dans les bistrots, puis j'ai questionné les gens, puis j'ai commencé d'enregistrer. J'ai commencé à engranger du répertoire».

Quand est-ce que vous êtes passé à la cornemuse ?
«Eh bien, je jouais déjà de la cornemuse, parce que mes frères aînés pratiquaient la vielle et l'accordéon. Ils étaient amateurs, et ils avaient créé un groupe amateur avec lequel je jouais. J'ai beaucoup joué avec eux.
On jouait les vendredis, samedis, dimanches. C'était presque un deuxième métier. Pourquoi la cornemuse ? Parce que les frères, ils avaient la vieille et l'accordéon»

Ça se complétait ?
«Oui, ils avaient fait venir des groupes en animation scolaire. Ils étaient un petit peu les deux. Puis moi, j'ai matché devant un joueur de cornemuse, devant Éric Montbel, qui était mon mentor. Et puis, j'ai dit, voilà, je veux jouer ça…»

Caprice d'adolescence ?
«Oui, un peu, mais je suis professionnel du spectacle depuis 1986. Intermittent, quoi, sous le régime de l'intermittence du spectacle.
Et puis donc, j'ai fait à la fois de la musique très traditionnelle, et puis de la musique un peu plus rock avec Faubourg de Boignard, et puis un peu dans le jazz… J'ai baladé ma cornemuse dans différents styles de musique pendant 25 ans».

Avec une envie de faire du théâtre ?
«J'ai commencé le théâtre à partir de 2005, quelque chose comme ça. J'ai essentiellement joué avec la compagnie Taxi Bruce de Dijon.
Et j'ai créé ma propre compagnie ici. Je l'appelle la compagnie L'Estaminet Rouge».

Pourquoi ?
«Parce que l'estaminet égale bistrot et rouge égale rouge.
Et voilà, j'ai créé après moi, avec la compagnie L'Estaminet Rouge, j'ai créé un seul en scène que j'ai joué une centaine de fois. Il s'appelle Écoute donc voir. Écrit et mis en scène par Patrick Grégoire, ça j'y tiens.
C'était un grand spectacle un peu autobiographique».

Quand germe l’idée de faire du cinéma ?
«Quand tu fais du théâtre, tu te dis un jour pourquoi pas du ciné… Dans mon entourage, on m'a toujours dit tu devrais tenter le cinéma. Pourquoi ? Déjà avec la gueule que t'as.
Avec la tronche que t'as, tu pourrais faire du cinéma.
Et puis moi, bien sûr, j'aurais dit oui, bien sûr, je vais claquer dans les doigts. Et puis demain, je me rends compte que tous les plus grands réalisateurs français n'attendaient que moi.
Sauf que ça ne marche pas comme ça j'ai postulé sur un casting sauvage un peu pour un rôle dans un long métrage d'Alain Guiraudie.
Le film s'appelle Restez Verticales. Et il m'a confié le second rôle dans ce film,
ce qui nous a conduit en sélection officielle à Cannes en 2016.

Et donc la montée des marches et tout le reste…
«Je me suis dit, déjà c'est incroyable, je me sentais pas légitime d'être là-haut. Parce que le premier film que tu tournes, tu te trouves sur les plus hautes marches de Cannes.
Alors qu'il y a des gens qui bossent depuis 20-30 ans qui n'ont jamais connu ça…»

Et puis la suite ?
«Après je savais pas si j'avais envie de continuer ou pas, ça m'avait fait très drôle cette aventure-là.
Tu commences le cinéma puis tu te retrouves tout de suite là-haut.
En fait quand tu passes à Cannes, tu passes pas inaperçu.
Et j'ai été repéré par un agent... L'agence VMA. Et j'ai discuté un bon bout de temps avec l'agence. Et puis on m'a dit, écoute , on n'a qu'à essayer pendant un an.
J'ai dit oui, on essaie. Et depuis je fais plus que ça. J'ai tourné dans plus d'une cinquantaine de films.
Alors tout comme film. Du court-métrage, de la série, du téléfilm et du long-métrage».

Et là donc, L'homme d'argile, c'est un aboutissement le film là ou pas ?
«C'est-à-dire que l'histoire de l'homme d'argile, ça c'est quelque chose... Moi je travaille avec Anaïs Tellen depuis 2016 en fait.
On a fait trois courts-métrages ensemble. Elle m'a engagé sur trois de ses courts-métrages. J'ai joué dans trois de ses courts-métrages. Et on s'est dit vraiment liés d'amitié.
Mais je crois que c'était plus que ça. C'est parce que si on a continué ensemble, c'est qu'on avait des choses à se dire.
Le long-métrage est arrivé parce qu'on devait le faire. C'était quelque chose d'évident entre nous. On a un peu les mêmes désirs en cinéma. Et puis je crois qu'on a appris à se connaître.
Et en fait, le sujet de l'homme d'argile, on n'est pas allé le chercher loin. Je lui ai dit... J'ai une idée de long-métrage. C'est l'histoire d'un mec qui vit en milieu rural. Qui se trouve mal dans sa peau. Qui est un peu marginal dans le village. Un gars qu'on ne fréquente pas trop et qui ne fréquente personne.
Et un jour arrive quelqu'un d'un autre milieu social. Et il se passe quelque chose entre les regards.
Et puis à partir de là, Anaïs a travaillé sur cette idée de départ. Et on a fait beaucoup d'allers-retours.
Quand elle avançait sur le scénario,elle m'en faisait part. J'alimentais à ma façon, elle à sa façon.
C'est elle qui a écrit le film, ce n'est pas moi. Mais disons que le travail s'est fait vraiment en relation. Relation très proche, avec une très grande confiance. Et c’est ce qui a donné l'essence à l'homme d'argile».

Vous en êtes fier ?
«Très. J'en suis fier parce que l'histoire que porte ce personnage me ressemble pas mal. Et qu'on a pu tourner dans le Morvan. Parce que je tenais énormément à rester dans un milieu rural».

Vous avez tourné où ?
«On a tourné au château de la Comelle, au château du Jeu. Et à Anost aussi.
Et puis voilà, cette rencontre avec Emmanuel Devos, ça a été très forte, très intense, parce que c'est une grande comédienne avec qui le courant est passé dès les premières prises.
Ça a fonctionné très bien. C'est vrai, c'est un cinéma qui raconte...
C'est ma vision du cinéma, c'est ce que j'aime voir au cinéma, et je crois qu'on a réussi à le faire.
Je  me suis senti engagé différemment dans ce film.
Souvent, tu reçois un scénario, tu le lis, tu vois que tel personnage est comme ça, ça, tu participes au film, mais là, j'ai participé d'une manière très différente, j'étais impliqué du début à la fin. Et ce travail qui s'est fait en grande confiance avec Anaïs, surtout»

Vous vous souvenez du jour où vous l’avez vu pour la première fois ?
«Quand je l'ai vu la première fois, il était en fin de montage en studio à Paris.
Et je ne savais rien du tout.
Anaïs m'avait prévenu en me disant... Il y avait deux scènes importantes du film, elle me dit, je te préviens, elles ne sont plus là, ces séquences. J'ai dit, oui, écoute, c'est ton film, c'est toi qui les travailles.
Et je l'ai vu. Je suis resté sur le cul, en fait.
Parce que je ne m'attendais pas du tout à ce qu'elle fasse ce montage incroyable.
Elle est allée directement à l'essentiel. Le film fait 1h35, un format normal, pas trop long, pas trop court.
Et tout est raconté en 1h35.
Il n'y a pas de bavardage, il n'y a pas de ventre mou, il y a du rythme, il y a la musique qui est... Il y a encore un autre personnage dans ce film, parce que je joue de l'accordéon dans ce film»

Vous jouez aussi dans le film ?
«J'ai composé le thème, deux thèmes qui font partie de l'ensemble de la musique du film.
Et c'est pour ça aussi que j'en dégage non pas de la fierté, mais du bonheur de porter aussi ces instruments à l'écran, quoi.
Ils ne deviennent plus des instruments de crin-crin de sauvage, de bouseux et de porteur de sabots, quoi»
Vous avez parlé de vos postes…
«Oui, mes potes me disaient, t'es fait pour le cinéma, déjà à cause de ta gueule».

Est-ce que vous en avez souffert quand vous étiez gamin ?
«Oui, bien sûr. D'autant plus que j'avais un oeil complètement atrophié. J'ai eu 35 opérations à cet oeil-là avant que j'aie une prothèse. J'ai un oeil de verre, donc. Oui, oui, j'en ai souffert»...

35 opérations ?
Oui, oui. J'ai été suivi par les plus grands professeurs. C'est un cas unique, ce que je ne connais pas.
Je suis seul à avoir ça. Le premier. C'est la première fois que je me suis retrouvé premier quelque part !

Et est-ce que vous avez le sentiment que finalement, ça incruste votre personnage ?
«Oui, bien sûr. Bien sûr, moi ça me remplit. Tu sais que quand tu fais des métiers comme ça, c'est important de s'être nourri de beaucoup de choses aussi, d'avoir un vécu, je crois.
Tu vois, tu me disais, ça ne fait pas un peu tard pour entrer dans le cinéma, mais moi je dis, peu importe, je m'en fou !
Mais je sais quand je vais sur un plateau et qu'on me demande de prendre une fourche, je sais dans quel sens il faut la prendre. Quand on me dit de prendre une tronçonneuse, je sais. Conduire un tracteur, je sais.
On a des savoir-faire.
On a navigué beaucoup dans le théâtre, beaucoup dans d'autres films aussi. On en apprend tous les jours aussi. Moi j'en apprends à chaque tournage. J'apprends des humeurs, j'apprends des gestes.
Dans un film précédent où j'ai le premier rôle d'ailleurs aussi, qui est sorti depuis l'année dernière, je suis sculpteur, donc je suis allé bosser avec un sculpteur avant pour lui demander d'être tout le temps au combo... Je veux qu'on nous croit.
Si un spécialiste voit le film, il dit, c'est qui ça ? C'est pas que de la comédie.
C'est vrai que ce personnage, bien évidemment, il est taillé sur mesure pour moi dans L'Homme d'Argile.
Je ne veux pas dire que je n'ai pas forcé. Je n'ai pas eu à forcer.
Et puis c'était tellement habité depuis le début de l'écriture de ce film jusqu'au tournage que le personnage, je l'avais en moi.
Je ne répète jamais au cinéma.
Et ça tombait bien parce qu'Emmanuelle Devos aussi, elle ne voulait pas répéter.
Donc on est arrivé sur le plateau, on a joué basta. Rien eu à se dire.
Je ne sais pas. C'est quelque chose qui m'a semblé très évident…»

Et peu de prises finalement, je suppose ?
«Oui. Des fois, peu de prises. Après, souvent quand tu fais des reprises, c'est pour les exigences du cadre, de la lumière, de la lumière extérieure, lumière naturelle ou autre.
Mais en général je crois qu'on a fait très peu de prises»

Vous aviez fait quoi comme Bac ?
«J'avais fait un bac B. Bac B à l'époque c’était Science économique et sociale.
Et quand j'étais arrivé en seconde, parce qu'on m'avait foutu dehors de Châtillons, parce que j'étais un élément perturbateur, donc ils m'ont envoyé en seconde. Je me souviens que le premier matin, le prof principal nous donne l'emploi du temps. Oui.
Il y a un cahier, je note, le premier jour, c'était lundi matin, de 8h à 10h, science économique et sociale.
Et à mon voisin, je lui dis, c'est quoi ça ? Il me dit, c'est la matière principale, je ne le savais même pas.
J'étais investi, mais j'ai quand même eu mon bac»

Quand vous dites que vous étiez un élément perturbateurs, c’était en quel sens ?
«Moi, je crois que quand tu es une tronche comme ça, avec un oeil atrophié, et que tu arrives, quand tu es encore dans le primaire, ça va, mais dès que tu passes le cap du collège, tu arrives dans un collège où il y a 1000 élèves, et tout de suite, t'es montré du doigt, t'es mis à l'écart, t'as parlé de 3 potes que tu peux avoir.
Je crois qu'inconsciemment, plutôt que de me cacher sous la table, comme je dis toujours, j'ai pris les devants et je suis monté debout sur la table.Je suis devenu un fouteur de merde, un meneur, j'ai été chef de classe.
Et puis après, la musique est venue assez tôt, puisque j'ai commencé à faire des concerts, des balades, j'avais 17 ans»

Et politiquement, vous vous êtes engagé assez vite ?
«Ah oui, de toute façon, je suis d'un milieu ouvrier communiste, donc chez nous, c'était notre nourriture du quotidien.
Parti communiste et CGT, bien sûr.
Et après, oui, bien sûr, j'ai toujours été très attentif à la politique, toujours très investi».

Et soutien d’Arnaud Montebourg…
«Oui, j'ai été soutien d'Arnaud, bien sûr. Il présentait ce que j'aimais à gauche du PS, parce que j'aimais pas tellement le ventre mou du PS, ni la droite du PS.
Oui, bien sûr, j'étais très séduit par ses programmes. J'ai beaucoup aimé»

Est-ce qu'on vit plus facilement du cinéma que de la musique ?
Ah oui, plus facilement. T'as de la lisibilité. Et puis j'ai surtout l'impression de me mettre les pieds sous la table quand je vais travailler.
Alors qu'en musique, tu répètes, tu crées des morceaux, tu prépares un nouveau concert, un nouveau disque, au théâtre, t'as des journées de répétition, alors qu'au théâtre, j'arrive en sachant ce que je vais faire, si je prends le temps...»

Vous n’allez pas payer l'ISF encore ?
«Mais j'aimerais bien le payer, finalement. C'est évident que le cinéma, bien sûr, ça paye mieux que le théâtre ou la musique»

Est-ce que vous avez mis votre téléphone dans la liste rouge ?
«Non. Il y a des gens qui appellent... Si je n'étais pas là, je ne serais jamais là»

Les césars vous y pensez ?
«Déjà, tout le monde me dit que c'est moi qui vais voir les Césars en 2025. Vous savez, c'est un des premiers films qui sort l'année. Il va sortir à peu près 150 films français, je pense. Tout ça est loin, très loin…»
Recueuilli par Alain BOLLERY



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