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18/06/2024 03:18

GASTRONOMIE : «Je crois beaucoup à la bonne alimentation et je pense que c'est le défi de la planète», déclare le chef Mauro Colagreco

«Je pense que le plus important c'est le respect pour la différence. Dans un monde qui se ferme de plus en plus, qui va vers les extrêmes, vers la peur de l'autre, je pense que c'est très important de montrer qu’il faut aller vers l'autre»,  a exprimé le chef étoilé du Mirazur, à Menton.
Il est l’un des chefs les plus populaires de la scène internationale. Originaire d’Argentine, Mauro Colagreco ne cesse d’émerveiller les amateurs de gastronomie. « Jardinier avec une veste de cuisinier », voilà ce qu’on peut lire dans la biographie Instagram du chef. Une description qui colle bien avec l’homme que j’ai eu la chance de rencontrer lors du Lyon StreetFood festival. Ce chef tellement humain est un fervent défenseur de l’environnement. Situé à Menton, son restaurant 3 étoiles Michelin « Le Mirazur » (qui a été élu meilleur restaurant au monde en 2019) a été le premier restaurant au monde à obtenir la certification Plastic Free. Le chef quant à lui a été nommé ambassadeur de bonne volonté à l’UNESCO. Un chef donc très engagé, qui s’est livré lors de notre interview sur son passage chez Loiseau, son engagement pour la préservation de l’environnement mais aussi sur l’importance du vivre ensemble…


Pouvez-vous revenir sur votre parcours ? 
« Je vais avoir bientôt 48 ans. Je suis né en Argentine, dans une famille d'origine italienne et basque-espagnole. Une famille où il y a toujours eu la cuisine dans toutes les conversations, les moments importants de la vie, quotidiennement, mais aussi pour des moments spéciaux. On aime tous la cuisine dans ma famille, mais il n'y avait personne qui faisait ça professionnellement.
J’ai passé un baccalauréat littéraire, rien à voir avec la cuisine, après mon baccalauréat j'ai décidé d'étudier l'économie, rien à voir non plus, et au bout de deux ans à l'université je me rendu compte que ce n’était pas vraiment ça que je voulais. Alors en attendant de savoir ce que je voulais faire, j'ai demandé a un ami qui venait d'ouvrir son propre restaurant à Buenos Aires si je pouvais l'aider à cuisiner parce que j'aimais ça mais pas plus que ça. Et du premier jour où je suis rentré dans cette cuisine ça a été le coup de foudre,
j'ai senti tout de suite cette adrénaline, cette passion pour ce métier et depuis je ne l'ai plus quitté. »

Vous êtes passé par la maison Bernard Loiseau, quels souvenirs en gardez vous ?
« Je suis un élève de Bernard. Je suis arrivé chez Bernard en 2001 et je suis parti un mois après son décès.  C'est quelqu'un que j'aime beaucoup, que j'admire énormément et qui m'a appris énormément de choses. Ça fait un bon chemin depuis que je suis passé chez lui, je pense qu'il fait partie de mes bases, de mes
piliers, de mes consolidations. Mais aujourd'hui, j'ai une cuisine qui a été développée avec un style très personnel à moi. Mais sûrement grâce à ces bases très solides que j'ai pu avoir avec Bernard entre autres, j'ai aussi eu la chance de travailler avec Alain Ducasse, Alain Passart, qui tous m'ont laissé une empreinte très importante. Elles qui m'ont servi justement pour pouvoir faire mon propre style. »

Selon vous, quelles sont les clés du succès du Mirazur ?
« Je pense que le fait de faire une cuisine très personnelle, de terroir, une cuisine qui exprime un terroir, mais un terroir d'une façon totalement différente. C'est une cuisine qui exprime la pensée d'un homme, d'une équipe aussi. Aujourd'hui, je travaillé beaucoup en intégrant mon équipe dans le process créatif.
En fait, on ne s’arrête jamais à l'acquis. On est toujours sorti de notre zone de confort, on a toujours poussé les frontières, mais on a proposé depuis le départ une cuisine différente, une cuisine méditerranéenne, des terroirs Mentonais, mais différentes. Par exemple, mon restaurant est ancré à 5 minutes de la frontière italienne, mais pour moi comme j'arrivais d'ailleurs, je ne connaissais pas cette frontière, pour moi elle n'a jamais existé.
Donc j'ai pu aller récupérer ce que j'ai trouvé le plus intéressant de l'autre côté de la frontière, les amener, jouer avec. C’est une chose que si j’étais né dans ces lieux précis, je n'aurais pas pu avoir cette liberté. Donc finalement, ces notions de liberté, de ne pas avoir peur à traverser les frontières, ne pas avoir peur de l'autre, aimer la diversité, aller chercher l'intéressant de l'autre et ne pas se renfermer chez soi, ça m'a permis d'être plus actuel, plus innovateur et plus intéressant peut-être. »

Vous avez été le premier restaurant a décrocher la certification Plastic Free, c'est une fierté pour vous ? 
« Oui ! C’est une grande fierté. Arriver a décontaminer notre cuisine du plastique à usage unique, ça a été un travail qui nous a pris énormément de temps, ça nous a pris trois ans. On était les seuls à l'époque.
Et grâce à cette initiative, aujourd'hui il y a presque une centaine de restaurants dans le monde qui ont la certification aussi. C'est un thème qui est aujourd'hui dans beaucoup de cuisines du monde. Les gens font ou essayent de faire un peu plus attention au plastique, donc ça a eu un impact fort et c'est une de nos fiertés, c'est une de nos luttes. On continue de se battre et à essayer de justement convaincre de l'importance de faire cette démarche, de sortir de notre zone d’imaginer une cuisine sans plastique. »

Quelle est votre philosophie culinaire ?
« Alors j'ai une philosophie culinaire qui est main dans la main avec la philosophie que j'ai pour ma vie, pour l'éducation de mes enfants. C'est une approche de respect, c'est une approche de respect pour les produits, pour la planète. Tous les produits que l'on travaille, on sait d'où ils viennent, on sait où ils ont été produits.
Soit ils ont été produits par nous-même parce qu'on a la chance d’avoir quelques hectares pour produire nos légumes pour une partie de nos restaurants, soit on va travailler avec un tissu des producteurs locaux autour de nos restaurants. Mais je pense que le plus important c'est ce respect, respect pour les produits, respect pour la planète, respect pour mes clients, respect pour la différence, la curiosité pour le différent. Dans un monde qui se ferme de plus en plus, qui va vers les extrêmes, vers la peur de l'autre, je pense que c'est très important de montrer que justement il ne faut pas avoir peur, il faut aller vers l'autre, il faut trouver toujours le côté positif des choses parce que la vie elle est merveilleuse.
On a beaucoup de chances de vivre dans un pays où on a pratiquement tout, peut-être que ça nous a donné de mauvaises habitudes. C'est dommage qu'on ai peur et qu'on aille vers le renfermement sur soi... » 

La street food a toujours eu cette image de malbouffe, selon vous est-ce que cette image change ?
« La StreetFood avait cette image de malbouffe parce qu'elle était reprise est refaite par des grands industriels, des grandes compagnies, des multinationales où ils n'ont pas valorisé la qualité mais la rentabilité.
Mais aujourd'hui on revient à ce qu’elle était à l’origine. En fait c'était de la cuisine populaire, accessible à tout le monde. Et je suis convaincu depuis toujours qu'on peut bien nourrir la population de la planète équitablement, avec des bons produits, sans les empoisonner.
Et c'est pour ça que j'ai ouvert ma chaîne de burgers, j'ai des restaurants de burgers qui sont certifiés Bicorp en Argentine. C'est une certification de triple impact très difficile à avoir. Il y a quelques établissements en France qui ont cette certification. C'est un travail sur le végétal, les burgers végétariens mais aussi avec de la viande. Les viandes proviennent d’élevage naturels, avec un élevage régénérateur de la terre. Et en même temps il faut une accessibilité au public pour qu'ils mangent bien. Tous nos légumes sont bio, le pain est fait un par un à la main, par des boulangers. On fait la même chose ici dans nos pizzeria à Lyon, à Menton et à Strasbourg, où on travaille des farines qui sont des farines complètes, très digestes avec des produits qui sont aussi des produits bio, locaux pour la plupart, ou celles qu'on ramène d'Italie sont des produits dont on connaît les producteurs, on est allé les voir pour savoir comment ils produisaient la stracciatella, comment ils produisaient la mortadella…
Et pareil avec notre boulangerie. Dans notre boulangerie on fait nous-mêmes la farine, on achète des blés anciens qu'on va moudre pour faire notre propre farine. C’est que du blé moulu avec une fermentation naturelle et lente et donc c'est des pains très digestes et accessibles au même prix qu'une boulangerie normale. 
Donc je crois beaucoup à la bonne alimentation et je pense que c'est le défi de la planète finalement non ? Et je vais peut-être finir cette question avec la phrase de Paul Bocuse quand ils lui ont demandé quelle était la meilleure cuisine. Et donc il disait qu'il deux types de cuisine, la bonne et la mauvaise !
Et ça ça vaut dans tous les types de cuisine, du restaurant trois étoiles Michelin à la pizzeria. »

Vous êtes un fervent défenseur de l'environnement. Quand vous voyez aux infos les catastrophes liées au dérèglement climatique, ça vous inspire quoi ?
« C’est vrai qu'on est dans une époque qui n'est pas facile, parce que les chiffres ne donnent pas trop d'espoir, mais il faut avoir cet espoir.
On le voit dans les petites actions qu'on met en place, elles ont toutes des résultats, elles ont toutes un impact. Aujourd'hui, j'ai l'honneur d'avoir été nommé ambassadeur de bonne volonté pour l’UNESCO,
pour la biodiversité. C'est la première fois qu'un chef est nommé comme ambassadeur de l'UNESCO, donc c'est un honneur mais aussi ça montre le rôle, l'importance du rôle du chef, l'importance de l'alimentation et c'est quelque chose dont vraiment il faut faire attention parce que ça touche toutes les chaînes alimentaires.
La mer représente 70 % de la surface de la terre. C'est un monde inexploré qui est en train de devenir la poubelle du monde et où il y a une diversité marine, tant végétale comme animale extraordinaire qu'on connaît à peine et qui pourrait être une des grandes solutions.
Aujourd'hui la compensation de l'oxygène que la mer nous donne c’est énorme. La vie sur Terre dépend de la mer, donc c'est quelque chose qu'on doit vraiment préserver. Là on a fait la campagne « Anguille non merci » parce que l'anguille est en grand péril d'extinction.
C'est un des poissons qui est dans la liste rouge des poissons en grand danger d'extinction. Donc si on n'arrête pas la pêche, ça va être la fin d'une espèce. Et c'est difficile parce qu'il y a des gens qui vivent de ça, mais de toute façon ces gens-là, si on n'arrête pas, ils vont devoir arrêter. La filiale va finir par s'arrêter toute seule. Donc ne mangez pas d'anguilles surtout, s'il vous plaît..
Il y a plein d'exemples de chefs qui ont changé leurs plats, qui avaient des plats signature avec l'anguille, qui ont cherché d'autres poissons et ils ont obtenu les mêmes résultats. Donc il faut vraiment faire attention et je tiens à deux causes : La première c'est une une pêche raisonnable et engagée. La deuxième est la décontamination du plastique. »

Qu'aimeriez-vous dire aux jeunes qui aimeraient se lancer dans le monde culinaire ? 
« Moi je voudrais leur dire que c'est le plus beau métier du monde ! Que c'est un métier qui est justement largissime, qui nous permet de rencontrer des personnes extraordinaires et qui m'a permis de découvrir la planète... C'est vraiment le plus beau métier du monde ! »

Propos recueillis par Manon Bollery
Photographies Manon Bollery



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