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21/03/2024 19:22

FERROVIAIRE : «Il y a de plus en plus de morts sur les chantiers de nuit», dénonce Pascal Dufraigne

«Il y a un copain qui faisait son boulot, il en est mort», a déploré le délégué du personnel de Sud Rail, ce jeudi 21 mars, à Dijon, en revenant sur les conditions de sécurité dans lesquelles travaillent les agents de maintenance des voies ferrées.
La famille des cheminots dijonnais est en deuil. Le 11 mars dernier, peu avant 23 heures 30, un agent de maintenance de SNCF Réseau mourrait dans une collision avec un train de marchandises en gare de Dijon-Ville (lire notre article). Un autre agent était également blessé. L'enquête judiciaire devra éclaircir les circonstances de l'accident.

Âgé de 33 ans, le cheminot décédé laisse une veuve qui le pleure. L'enterrement ayant eu lieu, le deuil fait place à la colère dans les rangs des cheminots qui n'ont eu de cesse d'alerter la direction territoriale de SNCF Réseau Bourgogne-Franche-Comté des dangers du travail de nuit, comme l'a expliqué, ce jeudi 21 mars 2024, à Dijon, Pascal Dufraigne, délégué du personnel Sud Rail.


Des «réorganisations» qui entraînent des «désorganisations»


«Il y a un copain qui faisait son boulot, il en est mort. (…) Il y a beaucoup d'émotion», confie Pascal Dufraigne, «surtout pour les collègues qui travaillent sur les voies du Dijonnais». «Beaucoup sont effondrés par ce qui s'est et se posent des questions sur comment ils vont continuer à travailler.»

Le drame révèle les conditions de travail de nuit : «ils ont toujours plus de travail à faire ; c'est la direction qui organise le travail, ce qui fait qu'ils se sentent toujours poussés de plus en plus à la limite de faire une connerie, dans l'environnement ferroviaire dangereux, ça ne pardonne pas ; (…) la nuit, on perd tous ses repères, c'est un environnement extrêmement dangereux».

«Il y a eu des réorganisations dans le travail, ces dernières années, qui ont amené des désorganisations entre les différents acteurs sur les chantiers», explique Pascal Dufraigne qui estime que «toutes les conditions pour travailler en sécurité ne sont pas réunies».

«Les collègues ont peur pour leur peau !»


Quelques jours avant l'accident, le cheminot décédé, mainteneur voie, avait fait grève pour «dénoncer les problèmes liés au travail des chantiers de nuit». «Ça fait des années que les collègues de la voies dénoncent le travail de nuit qui est est de pire en pire ces dernières années, il y a de plus en plus de chantiers de nuit. Ce qui les met en rage, c'est que, bien souvent, ils se rendent compte qu'ils pourraient le faire la journée dans de bonnes conditions.»

«Il y a vingt ans, il y avait plus de circulations et tous les chantiers se faisaient la journée», poursuit Pascal Dufraigne, «ce n'est pas un problème technique, ce sont des choix financiers de l'entreprise, le choix d'organiser la nuit, pour tout un tas de commodités».

«Les personnels demandent que les chantiers soient faits un maximum de jour», relaie le délégué du personnel. «La seule réponse de la direction est de mettre des procédures de plus en plus compliquées mais pour travailler en sécurité, on ne travaille pas avec des procédures, on travaille avec des hommes en plus sur les chantiers. Il leur faut des collègues en plus sur les chantiers pour assurer leur sécurité. Avec tout le travail qu'il y a à faire la semaine, vu le nombre qu'ils sont dans les équipes, ce n'est pas possible de faire ça dans de bonnes conditions ! (…) Les collègues ont peur pour leur peau !»

Sud Rail demande «la fin du travail de nuit»


«Les effectifs fondent dans les brigades voies», relève Pascal Dufraigne, évoquant le site de triage de Gevrey-Perrigny passé «de trois brigades voie de 15 personnes à une brigade de 12 personnes».

Les agents sont organisés en brigade au sein d'une hiérarchie en cascade allant jusqu'à la direction territoriale de SNCF Réseau.

En Bourgogne-Franche-Comté, on recense plus de mille agents de voie qui peuvent intervenir au niveau du service électrique, des caténaires, des services mécaniques, de l'entretien des appareillages et, pour le plus grand nombre, en tant que mainteneurs voies.

Sud Rail en particulier revendique donc la fin du travail de nuit, des effectifs supplémentaires dont des agents pour vigiler en nombre suffisant ainsi qu'un contact direct et non par mail avec les responsables des personnels.

L'appréhension du drame par la direction territoriale de SNCF Réseau est mise en cause


Pascal Dufraigne songe également à la famille du cheminot décédé et met en cause la façon d'appréhender le drame par la direction territoriale de SNCF Réseau. L'épouse a été prévenue de l'accident «par téléphone à trois heures du matin». «On se déplace», martèle le syndicaliste. L'épouse serait restée «24 heures sans savoir où était le corps de son mari». «C'est inhumain des choses comme ça ! (…) C'est scandaleux !»

Une cellule psychologique a été mise en place via un numéro de téléphone. Selon des cheminots qui entourent le délégué du personnel, cela permet de joindre «un répondeur» pour obtenir «un rendez-vous dans deux mois». La direction territoriale de SNCF Réseau aurait mandaté un psychologue pour venir à la rencontre des agents.

«Il est mort à 150 mètres de là où ils travaillent tous les jours, personne ne passe les voir pour demander comment envisager la reprise du travail», dénonce Pascal Dufraigne. «Les autres collègues des brigades du Dijonnais, c'est pareil.»

À ce jour, le délégué du personnel n'est pas en mesure de donner des informations sur la situation de l'agent qui a été blessé lors de l'accident.

«Il y a un avant et un après»


«La confiance dans la direction, c'est terminé», tempête Pascal Dufraigne, «les collègues ont peur pour leur vie». «Il y a un avant et un après.»

«Certaines équipes font presque une semaine sur deux [de nuit], (…) certains ont signé pour travailler à la maintenance des voies en journée mais, depuis une dizaine d'années, le nombre de semaines de nuit s'intensifie», explique-t-il, «ils ont fait grève précisément là-dessus, il y a deux ans».

Selon le délégué du personnel, il semble difficile aux agents, relevant du droit privé, de refuser de travailler sur les chantiers : «on fait pression, on vous écarte, on se retrouve à ne pas évoluer». «C'est comme à l'hôpital, le boulot, on le fait pour faire circuler des trains en sécurité avec des gens dedans.»

«Si on voulait vraiment appliquer la réglementation à la lettre, 80% des chantiers de se feraient plus, de jour ou de nuit», analyse Pascal Dufraigne qui insiste sur le rôle des vigies. «À force de réorganisation, les gens formés pour expliquer la sécurité ont disparu. (…) Il y a de plus en plus de morts notamment sur les chantiers de nuit, c'est dénoncé dans toute la France. (…) À 60 km/h, à 300 mètres, un train de 2.400 tonnes, même avec le freinage d'urgence, il va s'arrêter trop tard !»

À cela s'ajoute le recours à des sous-traitants dont les accidents du travail des personnels ne seraient pas comptabilisés dans les statistiques du donneur d'ordre.

Dans ce contexte, dans le Dijonnais, des agents de maintenance des voies sont en arrêt maladie et certains envisagent de changer de métier.

Jean-Christophe Tardivon


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