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21/02/2024 21:11

DEVOIR DE MÉMOIRE : «Missak Manouchian, mort pour la France»

«Il est important de souligner l'engagement et la bravoure de nombreux étrangers à l'heure où leur présence sur leur territoire suscite encore des débats», a déclaré François Rebsamen, ce mercredi 21 février, à Dijon, en rendant hommage aux résistants du groupe Manouchian.
Le 21 février 1944, à l'âge de 38 ans, Missak Manouchian tombait sous la mitraille de l'Occupant, fusillé au Mont-Valérien par des militaires allemands pour avoir résisté au sein des Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée (FTP-MOI).

80 ans après, jour pour jour,  Missak Manouchian et son épouse Mélinée, avec laquelle il s'était marié en 1936, sont entrés au Panthéon suite à une décision du président de la République Emmanuel Macron.

Mélinée Manouchian a échappé aux rafles


Missak Manouchian était venu en France en 1924 après avoir survécu au génocide arménien de 1915 en se réfugiant au Liban, alors sous mandat français, où il avait reçu une instruction scolaire. Il avait adhéré au Parti communiste français en 1934.


Elle aussi rescapée arménienne, communiste et résistante active jusqu'à la Libération, Mélinée Manouchian a échappé à la police de Vichy en étant cachée par la famille de Charles Aznavour. Elle a obtenu la nationalité française en 1946, est partie vivre en Arménie soviétique de 1948 à 1962 avant de revenir en France où elle a défendu la mémoire de son époux jusqu'à sa mort, en 1989.

«Aux résistants étrangers, la Ville de Dijon reconnaissante»


Ce mercredi 21 février 2024, la Ville de Dijon a choisi de donner un écho local à la cérémonie nationale se déroulant à Paris. Selon la municipalité, cette entrée au Panthéon reconnaît «la place et l’apport des étrangers dans la résistance».

Près de 300 personnes se sont rassemblées dans la salle des États, au sein du palais des ducs de Bourgogne, pour assister à cet hommage adressé à l'ensemble des 23 membres du «groupe Manouchian», de différentes nationalités, fusillés par les militaires allemands.

«Manouchian : une vie de combats», le documentaire des élèves du collège Rameau


En début de cérémonie, l'assemblée a pu découvrir un extrait du documentaire «Manouchian : une vie de combats», un travail de mémoire réalisé par des élèves de 3ème du collège Jean-Philippe Rameau.

De septembre à décembre 2023, à partir de documents fournis par l'historien Denis Peschanski, 35 élèves ont été accompagnés par des professeurs d'histoire-géographie, lettres, arts plastiques, musique ou encore technologie, coordonnés par l'enseignante Marlène Joudra. L'historien Jean Vigreux a également participé aux travaux.

Un partenariat avec l'Académie des arts appliqués a permis d'obtenir une production vidéo de qualité professionnelle. Grâce à un financement de la Cité éducative de Dijon, 150 collégiens se sont rendus au Mémorial du Mont-Valérien.

«Les résistants étrangers se sont battus pour les valeurs de la République»


«L'histoire de Manouchian parle à tout le monde», a indiqué Jérôme Naime, principal du collège qui recense 40 nationalités parmi ses élèves, «Manouchian est un résistant immigré arménien». «À travers lui, la symbolique est de faire rentrer, pour la première fois, un étranger au Panthéon et de reconnaître cet apport des étrangers dans la construction de la France depuis longtemps. (…) Les résistants étrangers se sont battus pour les valeurs de la République, les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. (…) Si on vit dans un moment de paix, avec des droits, dans un pays démocratique, c'est aussi grâce à eux.»

«Je ressens [chez les élèves] beaucoup d'émotion parce que, à travers le projet qu'ils ont réalisé, ils sont en train de prendre conscience de tout ce qu'est la France, de tout ce que l'on peut mener ensemble et de la richesse de la diversité, des origines sociales, des nationalités, tout ce que l'on vit au quotidien au collège Rameau», a développé le principal, lui-même ému.

«Dans l’Éducation nationale, nous sommes des représentants de la République, aussi des défenseurs de la République», a-t-il poursuivi, «la République n'appartient à personne, c'est la chose du peuple, elle appartient à tout le monde». «À travers le travail que l'on fournit dans nos écoles, en tant qu'enseignants, pédagogues, personnels de cette Éducation nationale, on transmet et on se bat pour que ce message reste et que personne ne l'oublie. (…) Il faut que l'on soit fier de notre école publique, (…) le creuset de la République.»

«Nous saluons l'ensemble du groupe Manouchian»


Une fois les portes-drapeaux des associations patriotiques installés à la tribune, François Rebsamen (PS, FP), maire de Dijon, a prononcé un discours ayant l'histoire de Missak Manouchian et de ses camarades en guise de fil de rouge.

«À travers la Panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian, nous saluons non seulement deux grandes figures héroïques de la Résistance mais également l'ensemble du groupe Manouchian», a déclaré l'orateur en listant les différentes nationalités des membres des FTP-MOI, «pour beaucoup des réfugiés politiques et économiques».

«Faire entrer Missak Manouchian au Panthéon, c'est aussi reconnaître le rôle joué sous l'Occupation par la résistance communiste», a ajouté le socialiste, sans évoquer pourtant les controverses historiques portant sur les responsabilités des cadres du Parti communiste français entre la signature du pacte germano-soviétique, en 1939, et l'invasion de l'URSS par l'armée allemande, en 1941, au regard des engagements individuels de militants communistes français ou étrangers.

«Je voudrai personnellement féliciter le président de la République du choix qu'il a fait», a ajouté par la suite François Rebsamen face à cette panthéonisation.

22 camarades de Missak Manouchian «morts pour la France»


Rassemblant les groupes de langues de la Main-d'œuvre immigrée (MOI), crées à l’initiative de l'Internationale communiste dès les années 1920, et le mouvement de résistance intérieur des Francs-tireurs et partisans (FTP) créé par le Parti communiste français en 1942, les FTP-MOI sont devenus en 1943 un groupe de guérilla urbaine harcelant l'Occupant.

Missak Manouchian a pris la tête des résistants d'origine arménienne avant d'agréger des membres d'autres nationalités – y compris des juifs venant de différents pays – devenant le «groupe Manouchian».

Surveillés par les renseignements du régime de Vichy, Missak Manouchian et 22 de ses camarades ont été arrêtés le 16 novembre 1943. 22 hommes ont été fusillés au Mont-Valérien, la seule femme a été déportée et exécutée en Allemagne.

«Nous honorons donc aujourd'hui la mémoire du groupe Manouchian, nous honorons ces humanistes qui se sont engagés pour la France et l'ont défendu car elle incarnait pour eux la liberté, l'universalisme républicain et la patrie des droits de l'Homme», a déclaré François Rebsamen.

L'orateur précise alors qu'il a fallu attendre 1971 pour que la mention «Mort pour la France» soit attribuée à Missak Manouchian, car n'étant pas de nationalité française, et même 2023 pour qu'elle soit attribuée à Szlama Grzywacz, lui aussi fusillé le 21 février 1944.

Dans un geste solennel, François Rebsamen a alors prononcé les 23 noms, nationalités et âges, accompagnant chaque nom d'un émouvant «Mort pour la France», progressivement repris par l'assemblée.

Témoignage de Mélinée Manouchian


Le maire de Dijon a également évoqué le parcours de Mélinée Soukémian, devenue Mélinée Manouchian en 1936 après son mariage : «Missak et Mélinée sont tous deux apatrides, ils ont partagé une admiration commune pour leur pays d'accueil et une proximité avec le Parti communiste».

«Missak et moi étions deux orphelins du génocide, nous n'étions pas poursuivi par les nazis, nous aurions pu rester cachés mais nous ne pouvions pas rester insensibles à tous ces meurtres, à toutes ces déportations de juifs par les Allemands car je voyais la main de ces mêmes Allemands qui encadraient l'armée turque lors du génocide arménien», a cité l'orateur.

Controverse autour de l'arrestation du groupe Manouchian


En revanche, François Rebsamen n'a pas évoqué une autre controverse historique dans laquelle Mélinée Manouchian s'est impliquée pour contextualiser l'action de son époux et participer à sa mémoire.

Dans les années 1980, des témoignages recueillis par Mosco Levi Boucault puis des travaux d'historiens ont tenté d'éclairer les conditions de l'arrestation du groupe Manouchian, groupe alors sans cesse sollicité par l'Internationale communiste pour commettre des attentats contre l'Occupant dans un contexte de concurrence politique avec les résistants gaullistes.

Une violente polémique a notamment vu s'affronter des socialistes et des communistes autour du documentaire «Des “terroristes” à la retraite», au point que le président de la République d'alors, François Mitterrand, a dû intervenir pour permettre, en 1985, la diffusion du film à la télévision malgré la farouche opposition de dirigeants communistes.

Peu après, le 31 décembre 1986, François Mitterrand a nommé Mélinée Manouchian chevalier de la Légion d'Honneur.

Interrogé à ce sujet par Infos Dijon, François Rebsamen a préféré mettre en avant «une journée de reconnaissance de l'ensemble de la Nation, de tous les partis politiques républicains en l'honneur de ceux qui sont tout simplement morts pour la France».

Une histoire française marquée par «le destin des hommes contraints à l'exil pour échapper à des régimes dictatoriaux»


Au gré de son propos, l'orateur a glissé quelques références aux débats nationaux contemporains, en particulier ceux concernant les enjeux migratoires. Quand Missak Manouchian est arrivé à Paris, fasciné par la culture et la vie artistique de la capitale, il a été recruté par les usines Citroën.

«Au début des années 30, la France accueille et compte à peu près 3 millions d'étrangers prêts à combler le manque de main-d’œuvre dans une industrie en plein essor», a rappelé François Rebsamen, «3 millions d'étrangers, cela représente à peu près 9% de la population ; c'est exactement le même chiffre aujourd'hui».

«Nous ne devons jamais oublier notre histoire, marquée par le destin de ces femmes et des hommes contraints à l'exil pour échapper à des régimes dictatoriaux», a-t-il poursuivi avec gravité en insistant sur les valeurs démocratiques. «L'invasion de l'Ukraine par la Russie de Poutine, en février 2022, est un exemple flagrant de ce que nous pensions ne plus jamais voir se produire.»

François Rebsamen a alors incité à «se rappeler de l'avocat russe Alexeï Navalny». L'opposant à Vladimir Poutine est décédé, dans des conditions mystérieuses, le 16 février dernier dans un centre pénitentiaire de Sibérie.

L'«intégration républicaine» des «hommes qui résident sur notre SOL»


«Missak Manouchian avait fait le choix de la France», a souligné François Rebsamen, faisant référence à l'expression «Français de préférence» forgée par Louis Aragon.

Alors que la France est touchée par les conséquences de la crise financière de 1929, Missak Manouchian n'a pourtant pas pu obtenir la nationalité française car étant alors au chômage.

«Des milliers de travailleurs ont perdu leur emploi, alimentant les discours de l'extrême-droite qui dénonçait le danger – déjà – d'une supposée substitution de population», a déploré François Rebsamen.

«Il est important de souligner l'engagement et la bravoure de nombreux étrangers à l'heure où leur présence sur leur territoire suscite encore des débats», a revendiqué le socialiste. «Je tiens à réaffirmer que la France est le pays des droits de l'Homme et que toute forme de restriction à ces droits n'est pas acceptable. (…) L'histoire de notre République est celle d'un modèle d'intégration républicaine où des femmes et des hommes qui résident sur notre  SOL [NDLR : il hausse le ton] participent à un destin commun sont citoyens français sans distinction de race ou d'origine sociale.»

«On ne peut pas porter atteinte à un des principes fondateurs de notre République, le droit du sol», a explicité François Rebsamen, interrogé par Infos Dijon. «Il y a des problèmes qui existent à Mayotte qu'il ne faut pas nier, des dispositions doivent être prises sans porter atteinte à ce principe général.»

«Une importance symbolique considérable pour tous les Arméniens»


Le maire a terminé son discours en faisant référence à «l'Arménie contemporaine» et à la communauté arménienne présente à Dijon.

«L'entrée de Missak Manouchian au Panthéon revêt une importance symbolique considérable pour tous les Arméniens et peut-être encore plus à l'heure où le président-dictateur de l'Azerbaïdjan entame sa cinquième mandature», a déclaré François Rebsamen en évoquant le conflit du Haut-Karabagh.

Le socialiste rappelle que, quand il présidait le Groupe socialiste et apparentés au Sénat, «une majorité de gauche avait voté la pénalisation de la négation de tous les génocides reconnus par la loi française». «Pour les Arméniens, en janvier 2012, ce texte représentait un texte de justice.»

La Chorale Rameau chante «L’Affiche rouge»


Pour terminer la cérémonie, les collégiens de la Chorale Rameau ont interprété la chanson de Léo Ferré «L’Affiche rouge», écrite en hommage au groupe Manouchian par Louis Aragon en 1956, éditée en disque en 1961 puis reprise par le groupe de rock Feu! Chatterton depuis 2022.

Après la cérémonie dijonnaise, les élèves du collège Rameau ayant participé à ce travail de mémoire se sont dirigés vers la capitale pour participer à la panthéonisation.

Un passage Missak-et-Mélinée-Manouchian à Dijon


Le maire de Dijon a décidé de baptiser des noms de Missak et Mélinée Manouchian le passage arboré jouxtant la piscine du Carrousel et débouchant sur la place du monument aux morts de la commune.

La plaque a été dévoilée ce jour par François Rebsamen, Franck Robine, préfet de la Côte-dOr, Benoît Bordat (FP), député de la Côte-d'Or, Jean-Philippe Morel (PR), adjoint au maire de Dijon, Jacky Delsol (PCF), cosecrétaire de la fédération de Côte-d'Or du Parti communiste français, Alain Seksig, secrétaire général du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République, Jérôme Naime et Marlène Jourda.

L'inauguration du passage aura lieu le 8 mai prochain, jour de la commémoration de la Victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie, en 1945.

Des commémorations à venir


Un hommage sera rendu aux victimes de la rafle de Dijon de février 1944, le 26 février prochain, à l'école Paulette Lévy, sur les lieux mêmes où 87 personnes ont été retenues avant d'être transférées au camp de Drancy puis au centre d'extermination d'Auschwitz. Paulette Lévy fut la seule survivante, elle revint dans son école en tant qu'institutrice.

Le 29 février prochain, sera commémoré le procès des résistants patriotes de l'Auxois dans la même salle des États où il s'est déroulé en 1944. Cela dans le cadre du cycle mémoriel des 80 ans de la Libération de la France.

Jean-Christophe Tardivon

Voir le documentaire des élèves du collège Rameau «Manouchian : une vie de combats»


Dijon entre dans le cycle des commémorations de la Libération de la France


Patricia Mirallès a échangé avec des lycéens ayant enquêté sur la seule rafle d'otages juifs à Dijon en 1942







































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