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06/05/2024 03:17
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Jérémy Decerle : «Bellamy ? un peu actif mais pas influent... Aubry ? de l’anti-Macron et c’est tout... Bardella ? quasiment jamais croisé !»

Dans une interview, le Député sortant, candidat sur la liste de la majorité présidentielle parle de son expérience acquise à Bruxelles et à Strasbourg. Il parle de son idéal européen.
Avant dernier jour de session à Strasbourg. On est le 24 avril. Jérémy Decerle quitte la capitale alsacienne, deuxième capitale européenne, avec le sentiment du travail bien fait, de s’être pleinement investi. Il est souvent monté au front. Plus souvent qu’à son tour. Toujours avec conviction. Parfois de l’émotion dans la voix, car c’est un sensible. L’éleveur sait choisir les mots. Il sait répondre aux attaques. Qu’elles soient insoumises ou pas.
Dans la salle du restaurant – où il se désole que le bœuf charolais est trop souvent oublié - on vient lui dire bonjour, lui dit du «salut, ça va Jérémy ?» On vient plus le voir que Nadine Morano, routière de l’Europe, ou que Raphaël Glucksmann… Sans doute parce que l’éleveur charolais ne laisse personne vraiment indifférent.

Dans les couloirs, c’est le Roumain Dacian Ciolos, ancien commissaire européen à l’agriculture, qui sort du rang, pour venir saluer le Député européen de Saône et Loire.
La composition de la liste de la majorité présidentielle n’est pas encore connue, mais parmi les parlementaires européens, tout le monde est convaincu de revoir Jérémy Decerle, à Bruxelles ou à Strasbourg, après le 9 juin.
Lui sait que sait depuis vendredi qu’il faudra un bon score et faire campagne pour prolonger son bail à l’Europe. Homme de défis, cela ne lui fait pas peur. Il va mouiller la chemise. Parce que c’est dans son ADN.
A.B.
 
On est dans la dernière ligne droite, comment avez-vous vécu cette première mandature ?
JEREMY DECERLE : «Alors ça a été une véritable découverte pour moi, qui était bien sûr engagé dans la défense professionnelle, dans le syndicalisme agricole, donc qui touchait un peu à la politique, mais pas forcément à la politique politicienne.
Et donc, du coup, il a fallu, évidemment, que je me familiarise un peu avec cet environnement, tout en essayant, parce que c'était aussi le mandat que m'avaient confié les jeunes agriculteurs, en me laissant partir à Bruxelles.
Il fallait que je continue malgré tout à garder mes convictions et à défendre des positions qui étaient plus professionnelles que politicienne. Il a fallu que bien sûr je réussisse à gérer cet équilibre là. J’ai trouvé ce mandat en tout cas passionnant, émouvant parfois».

Passionnant et émouvant, deux mots qui sont forts. Passionnant pourquoi ?
«Passionnant parce que c'est riche d'apprentissages, de connaissances à la fois des différents Etats membres, mais aussi de leur culture, de leur histoire. J'ai l'impression d'avoir grandi».
 
On grandit quand on vient au Parlement Européen, on continue de grandir ?
«Oui, oui, oui, on continue de grandir et je pense que ça ne s’arrête jamais. Et puis, j’en ai la conviction, il faut sûrement au moins deux mandats pour bien grandir. Pour enrichir ses connaissances ; Parce que souvent on a une vision de l'Europe qui est peut être loin des réalités… Je comprends mieux pourquoi, des fois, on a tendance à être très critique sur cet échelon là, l’échelon européen, car on ne le connait pas, ou pas assez.
Mais par contre, ces 5 années à Bruxelles et à Strasbourg m'ont aussi ouvert les yeux… Pourquoi il y a une propension à être critique sur l'Europe ? Oui, je comprends parce qu'on sent que la machine administrative européenne, la machine législative européenne, ne manquent pas d'inertie pour le coup !»
 
L’inertie, dont vous parlez, vous l’avez mesurée ?
«On sent bien l'inertie quand on est ici. C'est une grosse machine qui avance. Mais qui avance à son rythme et au rythme aussi, finalement, de la diversité des composantes qui la représentent. Par exemple, les Lituaniens n’ont pas les mêmes attentes que les Portugais ; la France n’a pas forcément les mêmes attentes que l'Allemagne sur tous les sujets».
 
L'idéal européen, il existe ou il n'existe pas ?
«Je pense qu'il existe... Oui j’ai un idéal européen. C'est l'échelon où on peut faire les plus grandes choses… Parce qu'encore une fois, dans ce qui m'a impressionné et ce que j'ai découvert, c'est que seul, un Etat membre seul était incapable de faire ce qu'est capable de faire une Europe à 27, c'est tout !»
 
Par exemple ?
«Oh il y a des exemples assez concrets, et c'est souvent dans ces situations-là que se révèle l'Europe. La crise Covid nous a montré, mais nous on ne l'a peut être pas ressenti ! En Europe, au-delà des drames humains, on a réussi à la fois à soigner les populations, en devenant le premier continent producteur de vaccins.
Et donc on a relevé le défi sanitaire que nous imposait la crise Covid et puis on a aussi fait face, avec difficulté, des fois avec des délais peut-être un peu trop longs, mais on a fait face aussi à la crise économique en essayant de minimiser l'impact. Cela en faisant quelque chose d'inédit au niveau européen, c'est l'emprunt commun.
700 milliards d'euros ont été empruntés en Europe pour les Européens.  Et cela avec des pays qu'on a l'habitude d'appeler parfois les frileux ou même les radins.
Même ceux-là se sont mis autour de la table et ont craché au bassinet pour mettre dans le pot commun et puis essayer d'aider le monde économique».
 
Que retenez-vous de cette crise et des décisions prises ?
«Déjà en réponse, il y a eu deux jambes. Il y a eu la jambe nationale et il y a eu la jambe européenne ? Car oui, nous aussi on a réussi en France à accompagner l'économie. Oui bien sûr, vous allez trouver des secteurs qui oui fermé. Oui on a fermé un restaurant par ici, on a fermé une usine par-là. Oui tout cela est vrai mais c'est grâce à la complémentarité des aides nationales au travers du plan européen,  que l’essentiel a été sauvé. Etant entendu qu ue les aides nationales viennent essentiellement des fonds européens.
Sans l'Europe, le national, en France ou ailleurs dans d’autres pays, n'aurait pas sorti autant d'argent».
 
Vous avez aussi cité le mot «émouvant». Pourquoi ?
«Souvent, on me demande «qu'est-ce qui t'a le plus marqué ?». Et un des moments qui m'a le plus marqué dans le mandat, c'est le jour où les Britanniques ont siégé pour la dernière fois au Parlement européen.
En fait, ils pleuraient dans l'hémicycle. Alors il y avait de la déception chez ceux qui ne voulaient pas sortir, bien évidemment.
Et aussi, évidemment, chez ceux qui avaient poussé au Brexit».
 
Est-ce que cela vous a aussi ému aux larmes ?
«Je n'ai pas pleuré, mais j'étais très ému. Je n'ai pas pleuré, mais j'étais très ému.
Je pense qu'il n'en n’aurait pas fallu beaucoup. Mais parce qu'on est pris aussi dans le truc…»
 
Est-ce que finalement, aujourd'hui, cette décision des Britanniques n'a pas été un révélateur pour tous les autres sur l'importance de l'Europe ?
 «Je ne suis pas Britannique, donc je vais dire oui. Mais les Britanniques, à mon avis, se seraie,t bien passé de ça. Mais par contre, je pense que ça a ouvert les yeux à tous les autres pays. Cela a montré que ce n'était pas la voie à suivre et que, vu l'état économique de la Grande-Bretagne. On voit bien qu'en sortant du marché commun, du marché unique européen, en se privant de l'accompagnement européen, on voit bien leurs difficultés aujourd’hui. Ceux qui voulaient que la France, elle aussi quitte l'Europe, ne le disent qu'aujourd'hui !
Les Français et les autres pays qui n’avaient pas envie de voir partir les Britanniques, étaient bien tristes.
Et puis il est important de rappeler que Marine Le Pen, Jordan Bardella, enfin le Rassemblement National, applaudissaient cette sortie et souriaient. Je rappelle qu’en 2019 Madame Le Pen et Monsieur Bardella proposaient de faire pareil.
Et aujourd'hui on les entend plus ! Comme par magie, ils ont tout oublié ! Mais ils proposent autre chose ?»
 
Votre sentiment ?
«Le Pen, Bardella, le Rassemblement National, ils parlent de sortir des accords commerciaux pour les agriculteurs.
Ils ne votent pas toutes les dynamiques européennes. Voilà, donc ce ne sont pas des pro-européens.
L’Europe ce n'est pas un club de foot. L’Europe c'est essentiel pour l'agriculture, c'est essentiel déjà pour deux choses parce qu'on a accès pour toutes les filières longues, on a accès au marché unique donc on peut exporter grâce à l'Europe Et parce qu'on est dans l'Europe,
on peut avoir accès aussi à des moyens de production.
Donc oui l’Europe c'est bien pour les échanges, c'est important qu'on soit sur le socle européen. Et puis c'est aussi important parce qu'il y a la politique agricole commune».
 
Vous êtes fier, satisfait de la dernière PAC ?
«Je suis plutôt satisfait du travail qu'on a mené pour essayer de défendre à la fois le budget, parce qu'il y a d'autres pays européens qui n'étaient pas forcément favorables à maintenir le budget de la PAC.
Et puis, j'ai vu la poussée environnementale dans le Parlement européen et dans les sociétés aussi. Je suis fier qu'on ait réussi à garder un certain équilibre entre l'importance qu'il y a à garder une économie et des soutiens publics costauds et en adéquation avec les besoins de l'agriculture… Et puis l'équilibre qu'on a trouvé pour avancer sur la lutte contre le changement climatique. Et je pense qu'on a réussi dans la PAC à préserver la dimension économique tout en avançant intelligemment sur la dimension environnementale en inventant des dispositifs un peu plus incitatifs, un peu moins punitifs.
C'est plutôt l'écologie de raison et pas l'écologie de punition.  Et ça, pour le coup, c'était pas gagné d'avance ! Je suis plutôt content de la PAC, même si c'est loin d'être parfait, parce qu'il y a des choses sur lesquelles, notamment pour la France, on devrait travailler davantage».
 
Vous pensez à quoi ?
«Je pense à la question de la gestion des risques climatiques et comment on fait pour remettre un peu de régulation aussi sur le marché pour justement mieux maîtriser la dimension économique. Et comment on fait pour mieux protéger et apporter plus de résilience aux exploitations agricoles.
Et la PAC là-dessus est un peu faible, je pense, et on doit dans les prochaines discussions, notamment pour la prochaine réforme,
on doit réfléchir davantage à tout ça. La PAC c’est le revenu des agriculteurs, aujourd'hui c'est le cas. Je plaide qu’elle devienne plutôt l'outil qui permette de construire le revenu.
Parce que là la PAC c'est le revenu, il faudrait que ce soit l'outil qui permette de le construire et il faudrait plutôt que, ce que demandent les agriculteurs d'ailleurs.
Je ne sais pas par quoi il faut commencer, mais je pense qu'il y a une prise de conscience au niveau européen, comme c’est le cas au sujet dy loup…»
 
C’est-à-dire ?
«En fait il y a une prise de conscience au niveau européen parce qu'il y a de plus en plus de pays qui sont touchés. A - un moment donné on était à plus de 20 pays dans les 27 qui avaient des problématiques avec les prédateurs, des fois pas que le loup.
En Roumanie c'est l'ours, il a tué 20 personnes, humains, entre 2018 et 2022 ;
Il faut qu'en fait l'Europe se donne plus d'outils et soit plus sérieuse sur la manière de gérer la prédation. Là on avait des objectifs pour justement faire en sorte que cette espèce soit mieux protégée, les objectifs ont été atteints. Il y a plus de 20.000 loups en Europe. Donc ça veut dire qu'on doit travailler et réfléchir sur comment on gère…»
 
Que prônez vous ?
«Bien sûr qu'il y a la révision du statut de l'animal qui peut être une chose, mais après il faut aussi le courage politique pour que dans chacun des États, on mette des politiques de régulation en place.
En tout cas ça ne doit pas se faire de manière dogmatique. On ne peut pas prendre le risque d'affaiblir des élevages, ce n'est pas sérieux, et donc moi je ne défendrais jamais ça.
Si on le fait, il faut que ce soit dans un cadre où tout le monde est d'accord et qu'il y a un minimum de gestion pour éviter que la cohabitation soit négative pour l'élevage.
Sur le loup, pour le coup, il n'y a pas beaucoup de députés dans ce parlement européen au parlement français, qui ont eu le courage de dire dans l'hémicycle il faut tuer plus de loups. Moi dans cet hémicycle, je suis là, je ne me suis pas fait que des amis, mais j'ai dit que la seule réponse est de tuer le loup, pour éviter sa prolifération.
La seule réponse c'est la régulation et réguler le loup, ça veut dire tuer. Faut pas avoir peur des mots, faut pas jouer sur les mots, c'est comme ça !»
 
On vous sent remonté sur le sujet…
«Dans la mesure où les fervents défenseurs du loup utilisent des méthodes, un vocabulaire très dur envers nous, il n'y a pas de raison que nous aussi, on ne soit pas réalistes. Moi je ne pratique pas la langue de bois, il faut dire les choses».
 
Manon Aubry, Raphaël Glucksmann, François-Xavier Bellamy, Jordan Bardella étaient déjà tête de liste il y a 5 ans. Cela vous inspire quoi ?
«Qu'est-ce qu'ils ont fait, ces gens-là ? Ça ne m'a pas sauté aux yeux, en tout cas pour certains ? Ils n’ont pas fait un travail excessif. Leur travail ne m'a pas sauté aux yeux».
 
En quelques mots, comment les jugez-vous ?
«Raphaël Glucksmann ? Les Ouïghours, c'est ce qu'il a défendu, c'est ce qu'il a fait voter.
Manon Aubry ? elle a fait de la politique nationale anti Macron. Elle a défendu des positions à l'Europe qu'elle voulait voir évoluer à Paris ou qu'elle n'aimait pas à Paris. Elle n’a pas fait un boulot européen.
François-Xavier Bélamy a été un peu plus actif sur tous les sujets, mais a un manque d'influence. Actif mais pas influent
Jordan Bardella ? Pareil : Présent pour voter, présent pour causer. Et finalement, ça fait partie de ceux qui expliquaient que pour Macron, l'Europe était un marche pied. Mais en fait, lui, il vient faire de la politique nationale à Bruxelles ou à Strasbourg, et c'est tout.
Je veux dire que je ne l'ai quasiment jamais croisé à Bruxelles. Et c'est là-bas qu'il y a les commissions parlementaires, qu'il y a du travail. Et en fait, c'est quelqu'un qui se représente, qui veut renouveler un mandat qu'il n'a déjà pas été capable d'honorer».
Recueilli par Alain BOLLERY
à Strasbourg
(Photos Alain BOLLERY)


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